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Elsa Sabado

Journaliste

Elsa Sabado
37 ans
Permis de conduire
Pantin (93310) France
Situation professionnelle
Freelance
En recherche active
Présentation
Pigiste, fondatrice du collectif "La Fourmilière", la question sociale guide mon stylo. En ce moment, je chronique le tourbillon qui s'abat sur le secteur associatif, dans le médico-social, la culture, le logement, l'économie sociale et solidaire... et j'enquête sur les secrets qu'il révèle. Mes articles allient reportage et enquête, et analyse.
Vous pouvez consulter mes articles par ici, j'espère qu'ils vous plairont :
http://collectif-lafourmiliere.fr/
https://www.facebook.com/LaFourmilierelecollectif/
https://twitter.com/CollFourmiliere
CV réalisé sur DoYouBuzz
Elsa Sabado Portfolio elsasabado.blogspot.com
Le Refuge déménage, la mission d'urgence de la Mie de pain s'effrite
11 sept. 2013
En octobre prochain, le Refuge de la Mie de Pain, le plus grand centre d'hébergement d'urgence de France, installe ses matelas dans un immeuble tout neuf, juste en face de l'ancien dortoir, 18 rue Charles Fourrier. L'accueil des sans-abri y sera d'une qualité bien meilleure, axé en priorité sur l'insertion. Mais le transfert s'accompagne de la suppression d'une centaine de places. Ce cap mis sur l'insertion, qui s'inscrit dans une politique nationale, fait des étincelles chez les SDF comme chez les bénévoles.

« Le déménagement du Refuge ? C'est une révolution ! », se félicite Christophe Piedra, directeur de la structure phare de la Mie de Pain, l'association historique d'aide aux sans-logis. Fini, l'austère dortoir où l'on s'entasse à huit par box, où les matelas en plastique sont imprégnés d'une odeur à laquelle personne ne s'habitue. Finis, les escaliers pour accéder aux lits, au premier étage, impossibles à grimper pour les handicapés. Finie l'obligation de quitter les lieux à huit heures le matin en emportant ses bagages, que l’on doit traîner toute la journée, avant de regagner le Refuge à 17 heures. En octobre, les hébergés de la Mie de Pain devraient prendre leurs quartiers dans un bâtiment immaculé. Dans ce qu'ils pourront désormais appeler « leur chambre ». Les sept étages du nouveau Refuge offriront aux sans-abri des studios individuels ou pour deux, qu'ils pourront occuper toute l'année, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. « L'enjeu, c'est vraiment de leur offrir des conditions d'accueil dignes. Dans un box de huit, il est impossible de se reconstruire, alors que des chambres permettent d'avoir une intimité, de revenir à la « normalité » », affirme Christophe Piedra, directeur du Refuge.

Montée en gamme

C'est un grand bond en avant sur le chemin vers l'insertion : « Nous allons passer de trois à onze travailleurs sociaux ! Ce qui veut dire qu'au lieu de suivre 70 dossiers, nous pourrons nous concentrer sur vingt hébergés chacun ! », se réjouit Gaëlle Morvan, assistante sociale. Le directeur poursuit : « Nous allons proposer des ateliers collectifs sur l'accès au logement, à l'emploi ou à la santé, en plus des entretiens individuels ». Pas question pourtant de sauter sans filet : « Nous avons travaillé sur la signalétique afin que les hébergés ne perdent pas les repères qu'ils ont réussi à prendre. Une visite guidée aura lieu avant que les messieurs ne s'y installent. La mobilisation sera totale, du côté des salariés et des bénévoles, pour leur réapprendre à s'approprier un espace », explique Christophe Piedra. L'assistante sociale renchérit : « Les messieurs devront ranger leur chambre. Nous allons passer des « contrats de séjour » avec chaque hébergé, autour de leur projet individuel. » Plus d'intimité, plus d'attention..., le bilan est jusque-là globalement positif.


Courriers de mauvais augure

Le hic apparaît lorsqu'on plonge dans les chiffres. Jusqu'en 2012, le Refuge accueille 426 personnes, du 1er octobre au 31 mars. Alors, commence la « décrue » : les hébergés quittent le centre par grappes. Seuls 180 sans-abri peuvent rester toute l'année. Le Refuge nouvelle formule offrira l'hospitalité à 300 personnes. « 200 places seront réservées à l'insertion. Sur les 100 places restantes, consacrées à l'urgence, 28 seront réservées aux « grands cassés de la vie », et 72 seront mises à disposition du 115 », détaille Christophe Piedra. Les forts en maths auront compris : 126 places disparaissent. Ou, autre interprétation, 326 places d'urgence sont supprimées, et 200 places en réinsertion sont créées. « Nous allons faire notre maximum pour que le nouveau centre soit rempli, à son démarrage avec les hébergés de l'ancien centre », assure Christophe Piedra. Mais certains sans-abri de la Mie de Pain ont d'ores et déjà reçu des courriers les sommant de débarrasser le plancher. « Les premières sorties d'hébergés devait quitter le Refuge le 17 juin. Mais le nouveau centre échauffe les esprits... Nous avons réussi à négocier avec l’État pour que tout le monde puisse rester jusqu'au 15 juillet, et nous essayons de trouver des relogements pour tous d'ici là. Nous suivons cela avec attention », s'inquiète Christophe Piedra.

Concurrence... ou solidarité ?

En effet, il y a de l'électricité dans l'air au 18, rue Charles Fourrier. Ce jeudi soir, après le repas dans le réfectoire, deux hommes d'une quarantaine d'années échangent avec anxiété sur le seuil du Refuge, la clope au bec et une enveloppe à la main. Achim est de ceux qui ont reçu la rude missive. « Ils m'ont proposé un relogement dans un centre à Neuilly-sur-Marne, mais j'ai refusé, parce que je veux rester à Paris pour trouver du travail... Alors le 24 juin, j'irai dormir dans la rue », soupire Achim, amer. Derrière eux, Brahim, Égyptien propret de 47 ans, se présente : « Je suis parti d'Egypte à cause de Moubarak, et je ne peux pas revenir à cause des frères musulmans ». Puis enchaîne : « Ici, franchement, c'est le bordel. Moi, je suis arrivé en France depuis six ans et demi, je suis calme, j'ai des papiers et je ne touche pas à l'alcool. Et je dois partir. Alors que d'autres qui se battent, qui boivent et qui ne travaillent pas se voient proposer des solutions de relogement… » La délicate situation fait parfois naître des sentiments peu charitables chez les hébergés eux-mêmes. D'autres ont tenté une réaction collective : « Lorsque les premiers courriers sont arrivés, l'un des concernés a rédigé une pétition, et organisé des réunions au réfectoire. Mais il a vite été relogé ailleurs », relate Samantha, une bénévole.


L'urgence abandonnée


Les hébergés ne sont pas les seuls à regarder le déménagement d'un mauvais œil. Certains bénévoles voient ce virage à 180° vers l'insertion comme une rupture avec l'identité de l'association, qui a toujours fait de la mise à l'abri une priorité. « Quand je suis arrivée à la Mie de pain, il y a six ans, tu pouvais donner l'adresse à n'importe quel sans-abri, et il était sûr d'avoir un toit pour dormir. Cela servait à dépanner. Au début, j'étais favorable au projet, je trouvais que faire une plus grande place à l'insertion était une bonne idée. J'ai commencé à émettre des réserves lorsque j'ai saisi que le côté urgence serait totalement oublié. Je trouve cela dommage, car beaucoup d'associations s'occupent déjà de cet aspect-là, alors que celles qui font de la mise à l'abri sont de moins en moins nombreuses », explique Samantha, bénévole depuis six ans.

Sans-papiers, donc SDF

Alors pourquoi ce déménagement ? Christophe Piedra aborde la question de fond : « La misère a changé de visage, et il a fallu que la Mie de Pain s'y adapte. Dans les années 1980, l'association accueillait surtout des “ grands exclus ”, avec des problématiques d'alcool, de désocialisation. Mais depuis quelques années, la misère s'est internationalisée. 54 % des sans-abri hébergés sont sans-papiers, et la plupart n'ont pas de problèmes sociaux par ailleurs ». Samantha abonde : « Quand je suis arrivée, il y a six ans, il y avait surtout des marginaux. Aujourd'hui, la majorité des hébergés ne sont pas identifiables si vous les croisez dans la rue. Il est vrai que l'arrivée de ces nouveaux venus a écarté les clochards, car ils se voyaient reprocher leur odeur et leurs addictions. ».


Ecrémage


Le déménagement du Refuge s'inscrit également dans une mue globale des politiques d'hébergement d'urgences. En 2010, Benoît Apparu, secrétaire d’État au logement, affirme vouloir faire de l'hébergement d'urgence un service public. Pour cela, il met en place le Service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO), qui centralise les demandes de logement et distribue les demandeurs sur les différents centres. « Pour être rattachés au SIAO, l’État nous donne de l'argent, explique Samantha. Mais en échange, nous devons répondre à un cahier des charges, qui met l'accent sur l'insertion ». Malgré cette rationalisation étatique, côté place, c'est toujours la pénurie. Ainsi, en 2012, sur les 416 653 appels reçus par le Samu social, à Paris, 50 000 demandes ont été non pourvues. Un chiffre en augmentation par rapport à 2011 où, sur 370 523 appels, 42 177 demandes sont restées non pourvues. Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du mouvement Droit au logement, analyse : « Les travailleurs sociaux sont plus nombreux, mais comme il n'y a toujours pas assez de logements, ils en sont réduits à faire un écrémage entre les SDF “insérables”, et les autres ».

Mélancolie du bénévole


Dernière facette de la métamorphose de l'hébergement d'urgence : « La standardisation de l'accueil fait perdre aux associations leur côté militant, qu'il soit religieux ou charitable. », déplore le porte-parole du DAL. La professionnalisation de l'activité fait naître chez les bénévoles un sentiment de mise à l'écart. Martine Michel, responsable du repas du jeudi à la Mie de Pain, raconte, nostalgique : « Avant, ici, tout le monde se connaissait. Depuis deux ans, le nombre de salariés de la Mie de Pain a explosé. Nous avons dû demander aux salariés de mettre des badges pour que l'on puisse les différencier des hébergés. Ce déménagement est sûrement nécessaire, mais moi, j'ai l'impression que la Mie de Pain perd son âme... »


Elsa Sabado 
Dans le 13 du mois, été 2013
Crédit Photo: Mathieu Génon
Olympiades: heurs et malheurs de l'Espace jeune
11 sept. 2013

crédit: Mathieu Génon

Samedi 30 mars, deux animatrices de l'Espace Jeune Olympiades sont agressées par un jeune usager, provoquant une énième fermeture de la structure depuis sa création en 1995. Ce problème récurrent témoigne de la faillite de la Ligue de l'Enseignement, gestionnaire des locaux, à maintenir à la tête de l'Espace Jeune une équipe d'adultes repères pour les jeunes qui en manquent.



« Tu crois que tu peux jeter un de mes frères ? Tu cherches la guerre ? Ramène la police, je les éclate, et après ce sera ton tour. Je vais t'envoyer dans un fauteuil roulant ». Ce samedi après-midi du 30 mars, c'est en ces termes que Xavier, 19 ans, agresse deux animatrices de l'Espace Jeune Olympiades, furieux qu'elles aient renvoyé l'un de ses amis de la structure. Après cet accès de rage, le jeune homme part, laissant les deux jeunes femmes en état de choc. Car, bien qu'elles travaillent ici depuis seulement trois mois, elles connaissent sa réputation. Xavier n'en est pas à son premier coup d'éclat.

Si on l'a peu vu sur la dalle, ces derniers temps, c'est qu'il passait deux ans à l'ombre, impliqué dans une tentative de meurtre sur un collégien en 2010. « C'est un habitué de chez nous, affirme le commissaire de police Nicolas Rémus. Il est inscrit dans notre fichier depuis qu'il a 14 ans, et il a une bonne vingtaine de garde à vue à son actif ». Depuis sa levée d'écrous, le jeune, désœuvré, multiplie les frictions avec les salariés de l'Espace Jeune. En janvier, un des animateurs-médiateurs a déjà porté plainte contre Xavier pour insultes sur le lieu de travail et menaces de mort. En février, rebelote, il agresse la responsable du centre et une des animatrices. En un mot comme en cent, Xavier, c'est la terreur du quartier.

Misère

« C'est le même refrain depuis des années », se lamente un travailleur social de la dalle. Située au fin fond de la dalle des Olympiades, au rez-de-chaussée d'une haute tour, le local est très enclavé, et connaît depuis sa création en 1995, des assauts et des fermetures répétées. C'est un des seuls endroits où les jeunes du quartiers peuvent encore se réunir au chaud. Cédric Bloquet, directeur des Espaces Jeunes de Paris pour la Ligue de l'Enseignement (LE), brosse le profil du public accueilli par l'Espace Olympiades : « Nous travaillons avec des 10-25 ans, souvent confrontés à la misère sociale et intellectuelle, qui ont des problèmes d'accès à l'emploi et de discriminations ».

Comment un caïd de quartier de moins de vingt ans parvient-t-il à faire régner sa loi sur une structure dépendant de la Mairie du XIII ? « Ces actes sont marginaux. On peut accuser la société, le système scolaire, les familles ... Mais la mairie n'est pas responsables des actes de délinquance. Nous avons parfaitement rempli notre rôle », défend Isabelle Gachet, adjointe au maire de Paris en charge de la Jeunesse. La défaite des institutions à faire respecter l'Espace Jeune interroge : où se trouve la brèche dans laquelle ce jeune s'est infiltré ?

La recette du karting

La crise de mars dernier survient après deux ans d'une relative tranquillité, liés à la présence de Franck Gbalé, un responsable recruté par la LE en décembre 2009. « A l'époque, nous étions une Antenne Jeune, dont les missions étaient d'accueillir, informer et orienter. Or les jeunes étaient en attente de loisirs, condition sine qua non pour ensuite aborder leur orientation professionnelle », affirme l'ancien responsable de l'Antenne. Les jeunes veulent faire du karting ? L'animateur leur propose un projet articulant une séance de prévention routière, un comparatif des prestataires de karting et l'activité elle même. La recette semble fonctionner : « En mai 2010, la paix était instaurée, l'antenne tournait», affirme un partenaire de la dalle. L'Antenne Jeune se développe à tel point qu'elle peut prétendre au statut d'Espace Jeune, doté de missions supplémentaires, comme la proposition d'activités de loisirs.

Les choses se gâtent au moment où la structure change officiellement de statut... et de hiérarchie, en 2012. En avril, la LE remporte le marché de l'Espace Jeune. « En septembre, au moment du changement de statut, nous, salariés de la structure, ne savions toujours pas quelles seraient nos conditions de travail, et le projet pédagogique n'était toujours pas rédigé. Quand la mairie est venue demander des comptes, elle a estimé cette absence de ce document 'inadmissible '», raconte Franck Gbalé. Lui et son équipe tiennent alors la direction de la LE responsable de cette situation. En conflit ouvert avec cette dernière, le responsable écope de trois blâmes pour insubordination avant d'être licencié. « La LE a voulu me faire porter le chapeau du retard qu'avait pris la structure », conclut le travailleur social. Quand Franck Gbalé est remercié, en octobre, l'équipe éclate. Une nouvelle responsable est nommée, sans transition. Et en janvier, deux nouvelles animatrices-médiatrices sont recrutées. Sur la dalle, jeunes et parents d'élèves affichent leur déception. « Franck était plein de projets. Quand il a été licencié, nous avons été choqués, car il était brillant et sympathique. Il faut croire que certains jeunes se sont vengés en semant la pagaille », estime Louisa, mère de deux jeunes habitués de l'Espace Jeune.

Pressions

Le soir du 30 mars, les deux animatrices agressées exercent leur droit de retrait. S'en suivent de longues tractations entre la Mairie, la LE et l'équipe de l'Espace Jeune. A moins d'un an des municipales, la mairie du XIIIe ne peut se permettre de voir la structure fermée pendant trop longtemps. Par ailleurs la LE paye des pénalités pour chaque jour de fermeture. Pour ces raisons, la direction de la LE exerce une pression sur ses salariés pour que l'Espace Jeune rouvre ses portes, alors que les animatrices agressées ont peur des risques de représailles. Avec raison. Le vendredi 26 avril, la structure se remet en marche, malgré les réticences de l'équipe. Le soir même, deux jeunes hommes de la bande de Xavier reviennent dans l'Espace Jeune et menacent l'animatrice agressée par Xavier. Un jeune est mis dehors et revient avec une barre de fer, insultant à nouveau une des animatrices. La réponse est immédiate : mairie, agents de police, cadres de la LE arrivent à la rescousse, et escortent les animatrices jusqu'au métro. La structure ferme à nouveau pendant 15 jours.

Il aura donc fallu un mois pour que la direction prenne la mesure du risque et mute les deux animatrices en interne. A l'Espace Jeune règne un climat d'omerta : aucun des cinq salariés n'ose répondre aux questions du 13 du mois, de peur, cette fois, des représailles de leur direction.

Le 13 mai dernier, l'Espace Jeune a ouvert avec deux vigiles et deux nouveaux animateurs, en attendant l'arrivée, début juin, d'un nouveau responsable. L'espace n'assure plus qu'un service d'accompagnement scolaire en fin d'après-midi. Quant à Xavier, il s'est rendu, le 11 mai, à sa convocation au commissariat. Quelques jours après, il est passé en jugement et a écopé de 10 mois de prison, dont six ferme, et dort en ce moment à Fleury-Mérogis. Pourtant, rien n'est réglé. L'équipe qui prendra son service en juin devra recommencer le travail social à zéro. « Et voir tant d'année de travail foutues en l'air, ça serre le coeur », témoigne un voisin de l'Espace Jeune.

Elsa Sabado
Dans le 13 du mois du 19/06/2013
Les Arcelorettes, dans l'ombre des hauts-fourneaux
23 mars 2013

Le bord du ring : c'est la place dévolue aux femmes d'Arcelor Mittal dans le duel entre les sidérurgistes de Florange et le champion de l'acier Mittal. Réduite à préparer le café et à essuyer les larmes des syndicalistes, Delphine Kremer, 33 ans,  aimerait aussi partager avec eux la médaille du mérite.

Ce soir de novembre, un épais brouillard baigne la ville de Fameck, non loin de Florange. Dans la salle Victor Hugo, les syndicalistes d'Arcelor-Mittal, en lutte depuis 18 mois pour sauver leur emploi, assistent à la projection d'un film consacré à leur combat. Les lumières se rallument, Edouard Martin, leur leader, prend place devant la toile, et égrène, la voix rauque : " Antoine, Jafar, Luis… Descendez les copains !". Pas un mot pour Sandra, Adèle… Salariées, épouses ou soutien, les compagnes de vie et de lutte n'auront pas droit aux projecteurs. Dans le fond de la salle, Delphine, une petite brune, bouillonne : "Rien pour les copines. Nous avons le même engagement, mais pas la même reconnaissance. Nous, on ne peut pas renverser des wagons de coke. Sur les piquets, on fait le café. Quand les journalistes viennent voir "les Florange", ils nous ignorent, et foncent pour serrer la main aux hommes." Mais ce soir, l'Arcelorette engueule le porte-parole. Edouard répond : "Tu aurais dû me le dire!". La syndicaliste s'emporte : "Mais c'était à lui d'y penser tout seul". Elle est une des premières à s'être levée contre la fermeture des derniers hauts-fourneaux de la vallée de la Fensch. Au début de la lutte, Delphine était même la seule femme de la CGT. Une des rares à fraterniser avec l'autre crèmerie : les "copains" de la CFDT. 

L'amour devant la cheminée

Notamment avec celui qui, ce soir, fait l'objet de son courroux : Edouard Martin. "La première fois que je l'ai vu, je l'ai trouvé grande gueule, mais charmant. Il m'a proposé de prendre un café. Il pensait m'emmener à la machine, je l'ai amené dans un bar à Thionville". Une idylle nait. Alors que la flamme de leur amour grandit, la fumée des hauts-fourneaux est étouffée par Lakshmi Mittal. Fin 2011, l'inquiétude assaille les sidérurgistes lorsque le géant de l'acier éteint les deux cheminées de Florange. Les syndicats mobilisent : "Il fallait être sur le pont à 5 heures", se souvient Delphine. Mais Edouard est inquiet : sa dulcinée est enceinte. Lorsqu'il lui demande de venir à 9 heures, la frondeuse le défie : "Je serai là à 5 heures". La déléguée syndicale se donne à 100 %, mais en mars, la sentence du médecin tombe : l'activiste doit rester au repos jusqu'à son accouchement. Delphine se trouve vite une autre utilité : "En restant devant la télé, j'avais des informations que les gars n'avaient pas. On échangeait sur Facebook entre femmes de sidérurgistes".

"Ceux qui ne sont pas investis, on les vire"

C'est par ce biais que Delphine va découvrir le prix de son "absence". Membre du collectif jeune de la CGT, celle qui était la chouchoute du syndicat apprend son éviction sur le réseau social. "Ils ont voté pour m'exclure du collectif, comme au tribunal. Sauf qu'au tribunal, les accusés sont là pour se défendre". On lui rapporte les propos de ses anciens camarades :" Ceux qui ne sont pas investis, on les vire'". Pour Delphine le prétexte de la purge est fallacieux. En tombant amoureuse du leader de la CFDT, elle avait pactisé avec le syndicat ennemi, était devenue la "femme de". Ecoeurée, elle démissionne de la CGT pour rejoindre l'organisation de son homme. Et pendant que Delphine nous fait la causette dans les locaux syndicaux, Edouard Martin, "le working class hero", change les couches de Pauline, quatre mois. Pour une fois, Delphine a droit aux projecteurs.



Crédit Photo: Marieau Palaccio

Féministe pratiquante
25 févr. 2013


Militante acharnée de la cause des femmes, Marylin Baldeck vient d’aider à mettre au jour une scabreuse affaire de harcèlement sexuel à la gare du Nord. Nous l’avons rencontrée boulevard Blanqui, où elle dirige l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail. 


Il est 15 heures lorsque Leila, Salima et Assia (1), emmitouflées dans leur doudounes, poussent la porte du 51, boulevard Blanqui, juste en face du métro Corvisart. Les trois collègues d’une quarantaine d’années ont rendez-vous avec Marilyn Baldeck, 35 ans, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). La petite blonde installe les trois copines dans le canapé de l’association, s’assoit face à elles, et déroule l’ordre du jour de leur entretien. Puis s’arrête : « J’ai l’impression d’être face à un tribunal », dit-elle en riant. Au diable l’ordre du jour, les trois femmes commencent par vider leur sac.


Salariées d’une entreprise chargée du nettoyage des trains Thalys et Eurostar à la gare du Nord, elles ont porté plainte en décembre contre leur chef d’équipe pour harcèlement sexuel. « Il les embrassait dans le cou, leur crachait dans la main, et y mettait son doigt en faisant des allers-retours obscènes. Lorsque Salima a tenté de le dénoncer à son employeur, elle a été convoquée pour un entretien préalable au licenciement... » Au vu de l’ampleur et de la gravité du dossier, Marilyn Baldeck se consacre exclusivement à l’affaire pendant trois semaines. La féministe envoie une lettre à l’entreprise, alerte Sud- Rail, le syndicat auquel le chef de chantier appartient, accompagne les femmes porter plainte et prévient la presse. Le 8 janvier, L’Express publie une longue enquête sur l’affaire mêlant harcèlement sexuel et racket (1). Sud- Rail retire immédiatement son mandat au chef d’équipe et organise la diffusion, dans la gare du Nord, d’un tract pour dénoncer les pratiques mafieuses de certains salariés. Le syndicat envoie également une douzaine de cheminots baraqués pour accompagner Salima à son entretien préalable au licenciement. Au lendemain de la parution de l’affaire dans la presse, les trois femmes passent du statut de victimes à celui d’héroïnes de la gare du Nord. Les collègues, les passagers du Thalys viennent les féliciter. Aujourd’hui, sur le canapé, elles racontent leur fierté, mais aussi les mille stratégies de l’entreprise pour les casser, sous l’oreille attentive de celle qui les a accompagnées et soutenues. « Le rapport de force a été inversé. C’est cela qui nous rend heureuses, à l’AVFT », se réjouit Marilyn Baldeck.



Apprentie féministe



Marilyn Baldeck est une petite blonde sérieuse. À chaque question, elle répond après une courte pause, de manière concise et organisée. Pas d’emportement ni d’élan lyrique chez elle mais une détermination immédiatement perceptible. Elle regrette de n’avoir pas plus de temps pour réfléchir, élaborer, théoriser sur ses rencontres quotidiennes avec les femmes victimes de harcèlement, car c’est une intellectuelle. La jeune femme travaille pour le compte de l’association depuis 2001. Marie-Victoire Louis, la fondatrice de l’association, a besoin d’un site Internet pour mettre en ligne sa thèse sur le droit de cuissage et ses dizaines de publications. Pile dans les cordes de Marilyn Baldeck, qui a suivi un cursus en sociologie du travail puis une école de journalisme, dont elle sort tout juste. La dirigeante lui inocule alors, sur le tard, le virus du féminisme. Car, née dans une famille ayant prospéré au Sénégal, elle n’entend parler de féminisme qu’à son arrivée en France, à la fac. « En sociologie du travail, une professeure nous avait demandé de réfléchir à une étude de cas. Il s’agissait d’un homme qui ne cessait de dire, dans le cadre son travail : "J’adore les femmes". Elle nous avait permis de comprendre par nous-mêmes à quel point cette phrase pouvait être misogyne. » Marilyn Baldeck arrive donc au féminisme par un « heureux hasard », constate celle dont le travail reste, aux yeux de sa famille, un passe-temps exotique. 



Très vite, l’apprentie-féministe est embauchée par l’AVFT. En 2003, le mouvement des intermittents du spectacle bat son plein. Ils luttent alors contre une réforme du calcul de leurs indemnités, qui conduit à l’exclusion de nombre de femmes enceintes du droit à l’indemnisation chômage. Marilyn Baldeck fait part de sa révolte à la présidente de l’association, qui lui répond : « Ça t’intéresse ? Eh bien tu t’en occupes. » La jeune femme, novice en droit, se plonge dans le dossier, l’étudie sous toutes ses coutures. Il lui apparaît bientôt que l’arrêté (3) viole certains principes constitutionnels, et qu’il faut saisir le Conseil d’État. « Fais-le », l’encourage la présidente de l’AVFT. « C’est là que j’ai eu le déclic. Je me suis dit : ici, tout est possible », raconte celle qui est devenue une véritable juriste.



En lieu et place des avocats



« Le droit n’est pas l’affaire des avocats. » Cette devise devrait être inscrite au fronton de l’AVFT. Car les militantes en pantalon ne veulent rien déléguer aux hommes en robe, qui, selon elles, entravent plus qu’ils ne facilitent l’accès des citoyens à la justice. Pour chacune des 400 affaires suivies par l’association, l’une des salariées constitue un dossier, suit la procédure judiciaire, accompagne les femmes pour porter plainte. Lorsque l’AVFT se constitue partie civile, ses salariées plaident elles-mêmes devant le tribunal. « Lorsqu’elles consultent un avocat, les femmes que l’on suit sont souvent noyées sous un jargon juridique employé à dessein pour les perdre et leur imposer des choix de procédure », affirme Marilyn Baldeck, particulièrement remontée. Pour cette autodidacte, le droit doit avant tout être « un outil populaire au service de l’émancipation sociale ».



Elle utilise donc les gros livres rouges comme des armes pour défendre les victimes du « patriarcat », qui empoisonne les rapports au sein de l’entreprise. Ces dernières années, l’AVFT a notamment jeté l’opprobre sur Georges Tron, maire de Draveil, accusé de viol par deux employées municipales, ou encore sur Jacques Mahéas, sénateur-maire de Neuilly-sur-Marne condamné pour agression sexuelle et toujours en fonction. « Nous ne voulons pas seulement multiplier les condamnations d’agresseurs, assure la jeune femme. Nous voulons changer le monde. » Pour approcher cet idéal, l’AVFT intervient en amont, dans l’élaboration des lois. « Notre association est à l’origine de la première loi sur le harcèlement sexuel, entrée en vigueur en 1994, de la suppression du délit de dénonciation calomnieuse qui rendait dangereux le fait de dénoncer des agressions, ou encore de la suppression de la présomption du consentement des époux à l’acte sexuel », énumère fièrement Marilyn Baldeck.



Sous la gauche, le combat continue



Leur dernière bataille législative a commencé le 5 mai 2012. Coup de tonnerre dans la galaxie féministe : la loi sur le harcèlement sexuel, jugée trop floue, est abrogée. 2 000 procédures en cours tombent à l’eau. Les féministes se mettent immédiatement au travail, l’AVFT en tête, pour obtenir une nouvelle loi. Le projet de loi final, en deçà de leurs espérances, est une véritable déconvenue pour les femmes de l’association. Leur déception s’aggrave devant les réactions des autres associations féministes. « Nous avons été lâchées », regrette Marilyn Baldeck. « Lorsque la gauche est au pouvoir, certaines associations abandonnent le rapport de force. Alors que pour imposer la loi la plus ambitieuse, Christiane Taubira a besoin d’une mobilisation forte. »



Quand Marilyn Baldeck songe à sa reconversion, la jeune femme rejette totalement l’idée d’entrer en politique ou dans un cabinet ministériel. « Cela supposerait de faire trop de concessions au féminisme. Pour moi, être féministe c’est être toujours dans l’opposition. C’est un positionnement de résistance. » À propos de sa vie privée, elle révèle avoir besoin de vivre avec quelqu’un qui partage son combat : « Mon conjoint porte un regard extérieur sur ce que je fais, c’est très important pour moi. Avoir le nez dans le guidon brouille parfois ma perception des enjeux. » Autre moyen de garder la tête froide, Marilyn Baldeck retape sa ferme dans le Perche tous les week-ends et en profite pour bouquiner. « Je lis des romans de Christine Angot, et même parfois de Virginie Despentes ! », confesse-t-elle en riant. On ne se refait pas.
A la recherche du véritable canard laqué pékinois
25 févr. 2013

Le Nouveau Village Tao-tao est l’un des spécialistes parisiens du canard laqué. C’est aussi un coquet établissement, dont nous avons tenté de percer les secrets de cuisine. 


Le Cyril Lignac du canard laqué fuit la presse. Il exerce son art dans les cuisines du Nouveau Village Tao-Tao, au 159 boulevard Vincent Auriol. Le 13 du Mois a envoyé ses plus fins limiers à la recherche de la recette star de ce restaurant : le véritable canard laqué pékinois. L’enquête a commencé, un vendredi glacial du mois de janvier, par une petite visite de routine dans la brasserie. Entrons : une cascade d’eau murmure sur la gauche, diffusant une ambiance zen. Mais dans l’aquarium géant, un mastodonte blanc à tête de pitbull monte la garde à l’entrée du temple du canard. Une fois notre effroi surmonté, un maître d’hôtel en costume trois pièces, tout droit sorti du dernier James Bond, apparaît. « Nous voudrions décrire le parcours du canard laqué, de son arrivée au restaurant jusque dans l’assiette », lui révélons-nous. « C’est notre spécialité », réplique-t-il d’une voix suave. Et puis, le maître d’hôtel finit sa phrase : « Mais le cuistot n’est pas un bavard... » Supplications, persuasion, rien n’y fait. Au bout de dix minutes, à bout, notre hôte sort son joker : « Je ne peux décider de rien, attendez plutôt madame Ung, la patronne. » Nous décidons d’aller goûter le canard laqué : peut-être pourrons-nous reconstituer la recette de l’oiseau pékinois à partir du goût du plat, comme dans Ratatouille

Tout est bon dans le canard

Attablés dans un coin de l’immense salle du Nouveau Village, entre les dorures chinoises et les yukas, nous passons commande. Le demi-canard laqué a un défaut : nous n’aurons pas le privilège de goûter la tête du volatile, contrairement à la formule « Canard entier ». Le serveur revient rapidement, poussant un chariot en aluminium sur lequel trône notre gibier. De son grand couteau, il détache délicatement les lambeaux de peau grillée et les dispose en quinconce sur notre assiette. « Prenez une crêpe de riz, tartinez-la avec la sauce huître-beurre de cacahuète, glissez dedans la peau du canard et quelques brins de poireau cru », explique-t-il avec pédagogie. La première phase de dégustation est réussie : distrayante, elle demande de mettre en action vos compétences manuelles, et ravit vos papilles, car la peau est croquante à souhait. La seconde l’est moins : quelques minutes plus tard, la chair du canard arrive dans nos assiettes, pléthorique et assaisonnée d’une épaisse sauce aigre- douce, de poivrons et de carottes. Plus que repus, nous en sommes à la commande des cafés lorsque se manifeste la fameuse madame Ung. 

Importé de Chine, mariné et rôti au resto

Joséphine Ung est la femme de l’un des patrons. Ces trois frères, qui ont ouvert le Nouveau Village Tao Tao en mai 1989, sont des Cambodgiens d’origine chinoise. « Nous fuyions alors le régime de Pol Pot et des Khmers rouges », explique madame Ung. C’est une famille de commerçants. « Nous ne savons pas faire la cuisine, mais nous savons trouver de bons cuisiniers. Celui-ci vient de Hong Kong et travaille au restaurant depuis sa création », explique la restauratrice. Cette coquette quadragénaire délivre quelques indices sur la recette du cachotier. « Chaque semaine, un arrivage de canard congelé débarque de Londres ou de Hollande. Les canards français sont bien trop grands et gras pour que leur peau soit fine, explique madame Ung. Il faut décongeler le canard, le tremper dans le bouillon, le laisser mariner une nuit, l’égoutter puis le faire rôtir, pendu par les pattes dans un four spécialement dédié à cet effet. » Le canard laqué peut être servi avec des nouilles, mais aussi avec de la soupe de tofu, chou chinois et gingembre, ou avec des brocolis. « On peut aussi l’agrémenter d’ananas ou simplement l’assaisonner de sel et de poivre », conclut madame Ung. Alors voilà pour la recette du canard laqué, que nous n’aurons pu voir à l’œuvre. Tant pis pour les secrets du Hongkongais car, comme dirait Marcel Proust, le meilleur des critiques culinaires : « On aime que ce qu’on ne possède pas tout entier. » 

Silicon Valley sur Seine
13 janv. 2013



Au fin fond de Paris Rive-Gauche, la Ville de Paris a érigé un « Incubateur » de 3 000 m2. Les jeunes entrepreneurs de l’ère digitale y bénéficient de locaux et de tuteurs pour que leurs start-up puissent naître et grandir, puis voler de leurs propres ailes.



Aux frontières de la capitale, au cœur d’un entrelacs de voies rapides, se dresse un cube de verre rutilant. L’Incubateur « Paris Région Lab » se trouve au 15 rue Jean-Baptiste Berlier, aux confins de Paris Rive-Gauche, un quartier flambant neuf qui se cherche une âme. L’air absorbé et le casque vissé sur les oreilles, de jeunes hommes descendent du nouveau tramway, traversent ce no man’s land coincé entre le périphérique et la voie ferrée et entrent dans le cube glacial. Ils parcourent de longs couloirs couleur béton pour s’installer devant leurs PC, et cliquer avec frénésie. Silence... Ici, on travaille à l’éclosion des entreprises de demain.


À 25 ans, difficile de convaincre une multinationale 




Du haut du building, Nicolas Bellego est à la manœuvre. Cet ingénieur connaît ses 25 start-up sur le bout des doigts. Pour expliquer son métier, il déroule tout le fil de la création d’entreprise : « Imaginons que vous sortez d’une école d’ingénieur. Vous avez une idée innovante dans le domaine des technologies numériques, et vous voulez créer votre boîte. » Il sort son Powerpoint. « Première étape : vous présentez un dossier pour entrer dans un Incubateur d’amorçage, où des professionnels vous aident à développer votre idée, à faire une étude de marché. Étape n°2, au bout d’un an, vous postulez pour un accélérateur de start-up, qui vous propose des locaux, une aide au recrutement et à la levée de fonds. Bienvenue à l’Incubateur ! », s’exclame cet ingénieur d’une quarantaine d’années, avant d’en venir au but : « Je fais office d’intermédiaire entre ces jeunes créateurs et les grosses boîtes. Je leur viens en aide sur des aspects techniques, juridiques, marketing... mais leur plus grand problème, c’est de trouver un investisseur qui parie sur leur projet, un “grand compte”. »



Car, à 25 ans, difficile de convaincre les équipes des grandes multinationales. « Nous travaillons en partenariat avec 40 grands groupes, que nous mettons en lien avec nos start-up », explique Nicolas Bellego. Outre cette proximité avec les investisseurs, l’Incubateur propose des interventions d’avocats ou d’entrepreneurs passés par les affres de la création. Surtout, les innovateurs regroupés ici s’enrichissent mutuellement de leurs échanges. Au bout de trois ans, la start-up doit avoir pris assez d’élan pour prendre son envol et quitter l’Incubateur.


Réservé à de rares privilégiés


Plusieurs Incubateurs sont disséminés dans Paris, et chacun a sa spécialité : finance, jeu vidéo, édition ou nouveau média. Pour chaque entreprise sélectionnée, la Ville de Paris fait un don de 30 000 euros et propose des emprunts à taux zéro allant de 50 000 à 100 000 euros. « 200 start-up sont ainsi financées. La Mairie de Paris dépense environ 4 millions d’euros pour l’amorçage d’entreprises, et 3 millions pour les accélérateurs », affirme Nicolas Bellego.


Cet argent, public, ne bénéficie qu’à un petit nombre de privilégiés : « Il faut avoir fait une bonne école, arriver avec des associés aux compétences diverses, et apporter au minimum 20 ou 30 000 euros de fonds propres pour être crédible et accéder aux Incubateurs », décrit l’ingénieur. « Et quand bien même on réunirait ces critères, seules 10% des candidatures passent le filtre de la commission qui régule l’entrée dans l’Incubateur. » Nous avons rencontré trois de ces jeunes entrepreneurs, en suivant Nicolas Bellego au pas de course dans les tuyaux de l’Incubateur.


We Cook, la recette de la réussite ?




Mathieu Vincent et Jérémy Prouteau ont fondé We Cook en sortant de l’école Télécomparis sud. Ils ont passé leur dernière année en stage, en Irlande. « On mangeait des pâtes au bacon tous les jours. On voyait que les familles avaient autant de difficultés que nous à rationaliser leur alimentation », se souvient Mathieu Vincent. En 2010, les deux jeunes se lancent donc dans la création d’un site qui permet, en fonction des goûts de l’internaute, de planifier des repas sur plusieurs semaines, produire la liste de course nécessaire à leur réalisation... « Le but serait de n’avoir qu’à cliquer pour se les faire livrer par une grande enseigne », se délecte d’avance le jeune homme de 26 ans. Les deux ingénieurs emploient aujourd’hui huit apprentis et stagiaires. La start-up, c’est une culture : un dessin en post-it orne la vitre, tandis que des peluches représentant les personnages de la célèbre application Angry Birds gisent sur les étagères. Nicolas Bellego frappe : il est temps de laisser les jeunes geeker en paix. Au suivant.


L’inventeur de la cotisation électronique



Après quelques couloirs en béton, le Pygmalion ouvre une porte et présente Ismaël Le Moël, polytechnicien de 29 ans, à la tignasse rousse et bouclée. Lors de son stage en Argentine, le matheux côtoie le leader d’un mouvement de coopératives autogestionnaires, et revient avec l’ambition de se lancer dans le secteur de l’économie solidaire et sociale. Le Che de l’X a donc créé une plate-forme de collecte, en ligne, de dons aux associations. Mail for Good est en phase de consolidation : le site héberge 600 associations, contre 30 début 2012. « Maintenant, le but est de convaincre les grands carrefours d’audience d’accueillir une bannière Mail for Good sur leur site, pour augmenter le trafic sur le site. » Ismaël a un modèle : « Lors de l’ouragan Sandy aux États-Unis, le site Zynga a réussi à récolter un million et demi de dollars en une semaine ». Ce qui lui plaît, dans l’Incubateur, c’est ce qu’il appelle « l’écosystème » : « Avec d’autres créateurs de start-up, nous organisons des déjeuners au cours desquels chacun expose sa problématique. Nous nous sommes rendus compte qu’elles étaient assez proches les unes desautres, et avons pu répondre à certaines questions ensemble. »


L’innovation dans l’innovation



Des rires s’échappent d’une salle. Parmi les joyeux drilles, Yohann Melamed, créateur du site Studyka. Il est formé au développement informatique à Télécom Paritech, puis enchaîne avec un master HEC (1), où il rencontre les deux autres. Après avoir écumé deux ou trois couveuses d’amorçage, ils ont décroché le droit de s’installer au 15 rue Berlier. Leur business ? Ils l’ont trouvé à l’école. Il s’offrait là, sous leurs yeux. « Nos écoles accueillaient de grandes entreprises. Nous devions plancher sur des études de cas réels et proposer des idées pour les résoudre. Celui qui avait la meilleure idée gagnait un prix. » Ces concours offrent de la matière grise aux entreprises à peu de frais. Yohann, Yohan et Charles ont donc créé un site sur laquelle les entreprises peuvent lancer leurs concours, et les étudiants du monde entier, y répondre. 1 200 écoles sont aujourd’hui reliées à leur site. Les vainqueurs peuvent, en plus de leur lot, présenter leur projet devant les dirigeants de l’entreprise. « Trente personnes ont déjà été embauchées grâce à notre site », se félicite Yohann. Ces rois de la mise en abîme ont déjà réussi à s’adresser aux « grands comptes » : Bouygues, Canal+ et la SNCF figurent parmi leurs clients, et ont demandé aux étudiants d’inventer la télé, la ville ou le centre commercial de demain. Ainsi, le numérique permettra-t-il peut-être, à l’avenir, de démocratiser la possibilité d’innover. 



Elsa Sabado

Publié le 13 janvier dans Le 13 du mois
La cause économique
01 janv. 2013

Bib’s de Michelin, Ptit Lu de Danone, Seafrance ... Philippe Brun s’est fait un nom en assurant la défense des salariés victimes de plans sociaux. Depuis 1999, il tente de faire voter un amendement « anti-délocalisation ».



« Quand nous en serons, au temps des cerises »... Sur la boîte vocale de Philippe Brun, la voix d’Yves Montand vous fait patienter. Dans quelques jours, l'avocat rémois connaîtra l'issue du combat de sa vie : la Cour de cassation se prononcera sur son amendement « anti-délocalisation » En attendant, l'avocat continue de parcourir la France... « Etre sur le terrain, c’est la meilleure manière de bien comprendre les situations. Et de gagner.» Quand on arrive enfin à lui mettre la main dessus, il annonce la couleur : « Mon portrait, ce sont mes combats ». Ses yeux bleus acier sont noyés sous la crinière blanche et hirsute qui recouvre son visage. Lorsqu’il raconte ses combats, rien n’arrête le mouvement de ses lèvres.


Son dernier coup d’éclat, c’est le dossier Sea France. La SNCF, dont elle est filiale à 100%, veut se débarrasser de l’entreprise de ferries. Résultat : 1600 salariés sur le carreau. En février 2011, la CFDT fait appel à Philippe Brun pour mettre en place la riposte. Il propose aux salariés de se porter candidats à la reprise de leur entreprise, sous forme de coopérative. Les magistrats refusent. « Je ne suis jamais abattu, jamais vaincu, affirme Philippe Brun avec aplomb. Il y a toujours une morale aux dossiers. On peut perdre, parfois. La justice humaine est nécessairement imparfaite. Mais le droit finira toujours par l’emporter ».



Le droit, c’est sa religion. C’est peut être par cela que l’avocat a remplacé le catéchisme de son enfance. Fils d’une postière et d’un maçon, Philippe Brun a grandi en Champagne, dans un milieu conservateur dont il garde une certaine idée de la France. Il se destine d’abord à une carrière de professeur d’histoire géo. Puis, déçu par l’anonymat de l’université, il choisit la justice. C’est là qu’il embrasse les idées socialistes. A 25 ans, il devient professeur de droit social.



Parallèlement, il fait office de « spin doctor » du maire socialiste de Charleville-Mézières. Puis, « chassé de la mairie par des ambitieux », il devient conseiller juridique pour la CFDT, toujours à côté de son emploi de professeur. En 1991, des amis avocats lui demandent de s'occuper du droit social pour leur cabinet. Il refuse : « Etre avocat, cela voulait dire être patron, j’étais attaché à ma liberté ». Puis finit par céder : en 1993, il prête serment.



Sa première affaire est ancrée dans son terroir. Le groupe LVMH supprime 250 emplois dans la maison de champagne Moët et Chandon. L’entreprise affiche pourtant une santé florissante. Lorsque la CGT débarque dans le cabinet de Philippe Brun, les salariés en grève occupent les caves. Avec l’assurance insolente qui le caractérise, l’avocat leur propose un deal. « Donnez moi carte blanche, et je marche avec vous ». Il leur fait lever le camp, et leur promet de vaincre par la force de la loi. « Aucun plan social n’avait été annulé jusque là, ils étaient un peu mes cobayes », avoue Philippe Brun. Il plaide le principe de proportionnalité, un argument inédit. Le 18 août 1993, la Cour de cassation lui donne raison. Pour la première fois, un plan social est annulé. Sa renommée prend une ampleur nationale.


Septembre 1999, Soissons. Michelin ferme une filiale pour délocaliser en Asie. Jospin rend visite aux futurs licenciés, et leur déclare : « L’Etat ne peut pas tout ». « Ce jour là, ils ont perdu les élections de 2002 », affirme Philippe Brun. Pourtant, il avait pris sa carte au parti en 1984, et faisait partie du comité national de soutien de Lionel Jospin à la présidentielle, en 1995. Quand François Hollande lui parle de la déclaration de Jospin comme d’une « erreur de com’ », la confiance qu’accordait l’avocat au PS se fissure.


Malgré tout, il propose au parti son amendement « anti-délocalisation ». Il doit permettre au juge civil de statuer, en amont, sur l’existence d’une « cause économique », condition nécessaire à la mise en place d’un plan social. Le PS ne donnant pas suite, il propose son amendement au Parlement Européen qui l'adopte. Pour le rendre effectif, l’Assemblée Nationale doit se prononcer. Le jour de la séance, les CRS empêchent les salariés d’entrer dans l’institution. Devant le grabuge, Martine Aubry, furieuse, reporte la séance à la nuit. « Et vous savez ce qu’elle a dit ? La cause économique est l’affaire de l’employeur, un point c’est tout. Ca se passait comme ça quand j’étais DRH à Pechiney » raconte Philippe Brun d’une voix pleine de colère.

Le juriste est alors « excommunié » par le PS. « Une lettre recommandée de Vincent Peillon, pas de tribunal populaire », se souvient-t-il. La rupture est consommée, et la plaie béante. « Le PS est devenu un parti libéral. C’est ce laisser-faire qui mène à la désindustrialisation actuelle».

L'avocat est totalement absorbé par son travail. Il a créé son propre cabinet, et y passe 70 heures par semaines, sans compter son métier d’enseignant. Quatre ans après avoir prêté serment, il divorce.

« C’est une passion ravageuse » déplore-t-il.

Si Philippe Brun ne fait pas adopter son amendement anti-délocalisation par la politique, il l’obtiendra par le droit. Il défend tour à tour les « Ptit’Lu », licenciés par Danone, des employés des entreprises Sodimédical et Ethicon en 2011. Chaque fois, il plaide l’absence de cause économique, et gagne. Cela lui permet de faire examiner son amendement par la Cour de cassation pour qu’il fasse ainsi jurisprudence. La Cour rendra son jugement le 15 mars. « Et si je gagne, ce sera sans l’UMP et sans le PS, qui crient «Made in France » toute la journée mais qui laissent faire. »

Il pourra alors couler des jours heureux à Marseille, où il a ouvert un autre cabinet, sa « zone de résistance sud », et où vit sa nouvelle compagne, rencontrée lorsqu’elle était correspondante en
Champagne Ardennes pour TF1, et leur fils de 10 ans. Mener le combat politique aux côtés de Jean- Luc Mélenchon, grâce à qui il n’est plus un « orphelin politique ». Et écouter des opéras lyriques en plein air à Aix en Provence. 
Bouillon de culture
13 déc. 2012


Aux fourneaux du Temps des Cerises, aux manettes du centre social 13 pour tous ou au tableau noir du Centre Alpha Choisy, Monique Degras est une incontournable du XIIIe. Depuis 1974, cette habitante des Olympiades poursuit un but: raffermir le lien social grâce au dialogue entre les cultures. 




Ce lundi soir de novembre, Monique Degras a une fois de plus affronté le vent glacial de la grande dalle des Olympiades pour dispenser son cours de français hebdomadaire à des adultes étrangers, arrivés récemment dans le XIIIe. En cours, sa voix est claire et haut perché. Tel un chef d'orchestre, la petite bonne femme brune fait parler ses élèves les uns après les autres, poussant les timides, freinant les ardeurs des exaltés, chantant lorsqu'il faut chanter, multipliant les grands gestes… Son vrai métier, c'est d'être une sage-femme du français. Elle aide les migrants à accoucher, à trouver les mots. Suit la gestation, jusqu'aux premiers pas. S'ils suivent les cours avec assiduité, Lobsang, Dyna ou Lee guye pourront mener une discussion dans un français correct d'ici quatre ans. "Ce qui m'émeut le plus, raconte Monique, le jour où ils arrivent à formuler une phrase, même si la syntaxe n'y est pas. La dernière fois, une jeune chinoise dont je n'avais pas entendu la voix m'a dit: " Moi attend bébé petite fille"! J'étais ravie". Ces rencontres comblent la curiosité de la pédagogue pour les autres cultures. Tibétains, cambodgiens, chinois, ou thaïlandais…Si par le passé elle a parcouru le monde, de la Syrie au Kenya en passant par le Népal, la routarde voyage désormais par procuration.
Café au lait
Il faut dire que la question des différences culturelles lui donne à penser depuis l'enfance. A l'époque, le mariage de ses parents dérange. Son père, un martiniquais ayant répondu à l'appel de celui qu'on surnomme aux Antilles "le général micro" s'est engagé aux côtés des forces françaises libres en 1940. Après les campagnes du Maghreb et la boucherie de Monte-Cassino, il rencontre à Paris une jolie couturière originaire de Vendée. Les tourtereaux se marient en septembre 1950, et Monique naît en mars: "Ils ont mis Pâques avant les rameaux" commente-t-elle en riant. Mais cette love story café au lait déplaît aux deux familles: les Degras seront toujours tenus à l'écart des grands raouts familiaux.
S'il a peu de famille, le ménage aura des amis. L' appartement des Degras est ouvert aux quatre vents: "Nous recevions des artistes, des mannequins comme Twiggy, et même une témoin de Jehovah!" se souvient Monique. Ainsi, les petites Degras, car Monique a une soeur cadette, sont très tôt éveillées au monde qui les entoure.
Lorsque Mai 68 survient, Monique termine son collège. Elle participe aux manifestations en cachette de son gaulliste de père. L'école la barbe, elle l'envoie sur les roses, et va au charbon, occupant de petits postes administratifs. Pour autant, la jeune fille conserve sa vie d'étudiante. "J'étais sans arrêt fourrée à la cinémathèque de Chaillot, ou aux ateliers théâtre de la Maison de la culture de Saint-Michel. Et, de temps en temps, je manifestais contre la guerre du Vietnâm!" se remémore Monique. Pour fêter sa majorité, la jeune fille part à New York pour une année. A son retour, elle reprend de plus belle ses activités. Un cinéclub, d'abord. "Rho, c'était formidable. Grâce à la fédération Jean Vigot, on se projetait à domicile tous les films de l'époque! ". Elle prête également ses bras à qui en a besoin en distribuant des tracts. Pour le MLAC, le mouvement pour la liberté d'avortement et de contraception, ou pour les campagnes de ses amis d'extrême gauche.
Indiens d'Amérique
En 1974, on lui présente Xavier, que Monique décrit comme "un petit technocrate de ministère ayant besoin de secouer sa vie ennuyeuse". Deux ans plus tard, ils montent ensemble le Temps des Cerises, un restaurant coopératif perché sur la Butte aux Cailles. Lui apporte son argent, les travailleurs, leur bras. Dans cette petite entreprise, tout le monde a le même salaire. Les associés roulent sur les différentes tâches, il n'y a pas de chef, et tout se décide en assemblée générale. Le restaurant draine une clientèle barriolée: artistes, chanteurs, écrivains, et militants de tout poil. "On organisait des débats, des concerts… un jour, des indiens d'Amérique sont même venus faire un exposé sur leur lutte pour conserver leurs terres! Alain Le Prest venait chanter, une vraie beauté... La vie culturelle était trépidante, et nous, on la brûlait par les deux bouts", raconte celle qu'on rebaptise alors Valentine, "à cause de la chanson de Maurice Chevalier"." A l'époque, la Butte aux Cailles est très populaire: au Temps des Cerises, on mange un steack purée pour 7F 50". L'endroit est fréquentée par les voyous et les marlous. " C'était folklo: nous avions même un habitué qui, coiffeur le jour, allait "au bois de boubou" la nuit et revenait défait, au petit matin, pour boire son petit noir".
Puis les choses se gâtent. Un jour de 1983, en réunion, c'est l'algarade de trop. "A l'époque, j'avais le sang chaud, le ton montait vite". Monique claque la porte et donne sa démission. Elle doit aussi quitter son appartement de fonction, et emménage aux Olympiades. Désoeuvrée, elle décide de se secouer les puces, et toque à la porte de la mairie du 13e. " Je veux adhérer à une association", annonce-t-elle à l'employée municipale. Cette dernière lui dégote illico un poste de bénévole formateur de français au Centre Alpha Choisy.
13 pour tous
Désormais, elle sera partout. Dans le Réseau échange et savoir, où elle a animé des ateliers cuisine et cinéma. Au centre social 13 pour tous, dont elle est l'une des fondatrices. Puis, en 2004 , elle adhère Envol, "Envie de vivre aux Olympiades", qui organise chaque année des vides greniers et des expositions sur la dalle. Ainsi, sa retraite est peuplée de réunions, d'écriture de comptes rendus, de lectures de romans et de sorties au cinéma et au théâtre. Pourtant, Monique se fait du mouron pour le quartier, parce que, justement, le lien social qu'elle se donne le mal de tisser craque de partout. Alors, lors de la célébration des 40 ans de la dalle des Olympiades, en octobre dernier, elle a tenu à déclamer son crédo aux habitants de la dalle." Ce chantier colossal, « la cohabitation culturelle », nous l'avons là, devant nous aux Olympiades, comme un défi (…). Il nous faut (…) apprendre sans relâche les richesses de nos diversités culturelles. Nous approcher, nous rapprocher, nous apprivoiser sans méfiance, sans a priori". Ce défi, c'est celui de sa vie. Et, du haut de la tour "Londres", chacun espère qu'elle continuera longtemps de le relever.

Elsa Sabado
Publié le 13 décembre dans Le 13 du mois

La cause économique
31 août 2012
Crédit Photo: Jérôme Chatin
Bib’s de Michelin, Ptit Lu de Danone, Seafrance ... Philippe Brun s’est fait un nom en assurant la défense des salariés victimes de plans sociaux. Depuis 1999, il tente de faire voter un amendement « anti-délocalisation ». 

Date: Avril 2012


« Quand nous en serons, au temps des cerises »... Sur la boîte vocale de Philippe Brun, la voix d’Yves Montand vous fait patienter. Dans quelques jours, l'avocat rémois connaîtra l'issue du combat de sa vie : la Cour de cassation se prononcera sur son amendement « anti-délocalisation ». En attendant, l'orateur continue de parcourir la France... « Etre sur le terrain, c’est la meilleure manière de bien comprendre les situations. Et de gagner.»

Quand on arrive enfin à lui mettre la main dessus, il annonce la couleur : « Mon portrait, ce sont mes combats ». Ses yeux bleus acier sont noyés sous la crinière blanche et hirsute qui recouvre son visage. Lorsqu’il raconte ses batailles, rien n’arrête le mouvement de ses lèvres.

Son dernier coup d’éclat, c’est le dossier Sea France. La SNCF, dont elle est filiale à 100%, veut se débarrasser de l’entreprise de ferries. Résultat : 1600 salariés sur le carreau. En février 2011, la CFDT fait appel à Philippe Brun pour mettre en place la riposte. Il propose aux salariés de se porter candidats à la reprise de leur entreprise, sous forme de coopérative. Les magistrats refusent. « Je ne suis jamais abattu, jamais vaincu, affirme Philippe Brun avec aplomb. Il y a toujours une morale aux dossiers. On peut perdre, parfois. La justice humaine est nécessairement imparfaite. Mais le droit finira toujours par l’emporter ».

Le droit, c’est sa religion. C’est peut être par cela que l’avocat a remplacé le catéchisme de son enfance. Fils d’une postière et d’un maçon, Philippe Brun a grandi en Champagne, dans un milieu conservateur dont il garde une certaine idée de la France. Il se destine d’abord à une carrière de professeur d’histoire géo. Puis, déçu par l’anonymat de l’université, il choisit la justice. C’est là qu’il embrasse les idées socialistes. A 25 ans, il devient professeur de droit social.

Parallèlement, il fait office de « spin doctor » du maire socialiste de Charleville-Mézières. Puis, « chassé de la mairie par des ambitieux », il devient conseiller juridique pour la CFDT, toujours à côté de son emploi de professeur. En 1991, des amis avocats lui demandent de s'occuper du droit social pour leur cabinet. Il refuse : « Etre avocat, cela voulait dire être patron, j’étais attaché à ma liberté ». Puis finit par céder : en 1993, il prête serment.

Sa première affaire est ancrée dans son terroir. Le groupe LVMH supprime 250 emplois dans la maison de champagne Moët et Chandon. L’entreprise affiche pourtant une santé florissante. Lorsque la CGT débarque dans le cabinet de Philippe Brun, les salariés en grève occupent les caves. Avec
l’assurance insolente qui le caractérise, l’avocat leur propose un deal. « Donnez moi carte blanche, et je marche avec vous ». Il leur fait lever le camp, et leur promet de vaincre par la force de la loi. « Aucun plan social n’avait été annulé jusque là, ils étaient un peu mes cobayes », avoue Philippe Brun.
Il plaide le principe de proportionnalité, un argument inédit. Le 18 août 1993, la Cour de cassation lui donne raison. Pour la première fois, un plan social est annulé. Sa renommée prend une ampleur nationale.

Septembre 1999, Soissons. Michelin ferme une filiale pour délocaliser en Asie. Jospin rend visite aux futurs licenciés, et leur déclare : « L’Etat ne peut pas tout ». « Ce jour là, ils ont perdu les élections de 2002 », affirme Philippe Brun. Pourtant, il avait pris sa carte au parti en 1984, et faisait partie du comité national de soutien de Lionel Jospin à la présidentielle, en 1995. Quand François Hollande lui parle de la déclaration de Jospin comme d’une « erreur de com’ », la confiance qu’accordait l’avocat au PS se fissure.

Malgré tout, il propose au parti son amendement « anti-délocalisation ». Il doit permettre au juge civil de statuer, en amont, sur l’existence d’une « cause économique », condition nécessaire à la mise en place d’un plan social. Le PS ne donnant pas suite, il propose son amendement au Parlement Européen qui l'adopte. Pour le rendre effectif, l’Assemblée Nationale doit se prononcer. Le jour de la séance, les CRS empêchent les salariés d’entrer dans l’institution. Devant le grabuge, Martine Aubry, furieuse, reporte la séance à la nuit. « Et vous savez ce qu’elle a dit ? La cause économique est l’affaire de l’employeur, un point c’est tout. Ca se passait comme ça quand j’étais DRH à Pechiney » raconte Philippe Brun d’une voix pleine de colère.

Le juriste est alors « excommunié » par le PS. « Une lettre recommandée de Vincent Peillon, pas de tribunal populaire », se souvient-t-il. La rupture est consommée, et la plaie béante. « Le PS est devenu un parti libéral. C’est ce laisser-faire qui mène à la désindustrialisation actuelle».

L'avocat est totalement absorbé par son travail. Il a créé son propre cabinet, et y passe 70 heures par semaines, sans compter son métier d’enseignant. Quatre ans après avoir prêté serment, il divorce. « C’est une passion ravageuse » déplore-t-il.

Si Philippe Brun ne fait pas adopter son amendement anti-délocalisation par la politique, il l’obtiendra par le droit. Il défend tour à tour les « Ptit’Lu », licenciés par Danone, des employés des entreprises Sodimédical et Ethicon en 2011. Chaque fois, il plaide l’absence de cause économique, et gagne. Cela lui permet de faire examiner son amendement par la Cour de cassation pour qu’il fasse ainsi jurisprudence. La Cour rendra son jugement le 15 mars. « Et si je gagne, ce sera sans l’UMP et sans le PS, qui crient «Made in France » toute la journée mais qui laissent faire. » Il pourra alors couler des jours heureux à Marseille, où il a ouvert un autre cabinet, sa « zone de résistance sud », et où vit sa nouvelle compagne, rencontrée lorsqu’elle était correspondante en
Champagne Ardennes pour TF1, et leur fils de 10 ans. Mener le combat politique aux côtés de Jean- Luc Mélenchon, grâce à qui il n’est plus un « orphelin politique ». Et écouter des opéras lyriques en plein air à Aix en Provence. En attendant, il ne lâche rien.

Saint Marcouf : la possibilité d'une île
24 août 2012



Hugues Dupuy, cadre à la retraite, a entrepris de rénover l’île de Saint-Marcouf, au large du Cotentin, laissée à l’abandon depuis le début du XXe siècle. Jeunes en insertion, étudiants en architecture et scouts unitaires de France participent pendant l’été à ce projet de longue haleine.




Il y a le vent, les oiseaux, la mer... et une citadelle datant de l’époque napoléonienne qui tombe en ruine, au beau milieu de la Manche. En ce mois d’août, quatre étudiants en architecture et cinq guides des Scouts unitaires de France donnent un peu de leur temps pour rénover l’île de Saint-Marcouf. Une bande de terre de quatre hectares, au large de la côte est du Cotentin, interdite aux promeneurs depuis 1998 pour des raisons de sécurité. 

Un projet né à l’initiative d’Hugues Dupuy, un cadre financier à la retraite, qui y passait ses vacances lorsqu’il était enfant. Son rêve : retaper « son île » pour qu’elle soit à nouveau accessible aux promeneurs du dimanche. En 2003, il monte une association et présente son projet à un concours de sauvegarde du patrimoine lancé par le département de Basse-Normandie. L’île est retenue parmi les projets pour son architecture militaire napoléonienne. Pourtant, Hugues Dupuy va éprouver les plus grandes difficultés pour convaincre l’administration de son idée. Trois préfets successifs vont refuser de le laisser commencer les travaux. C’est un architecte des bâtiments de France qui va lui donner le coup de pouce nécessaire au démarrage de l’aventure. Enthousiaste, ce dernier prend lui-même la maîtrise d’œuvre des travaux à titre bénévole, et obtient ainsi un permis de construire en 2009.  Des jeunes venus d’associations de réinsertion commencent les travaux. 


Des racines et des ailes 


Et en 2010, un passage à l’émission « Des racines et des ailes » permet au rêve d’Hugues Dupuy de prendre son envol. Sur place, les conditions de vie sont celles d’un Robinson Crusoë. Les étudiants campent dans l’humidité, ont très peu d’électricité, et la mer pour seule distraction. Une exception à cette vie rudimentaire : Pierrette, une employée de mairie à la retraite qui leur prépare des repas aux petits oignons. Durant la journée, ils exercent leurs talents de bâtisseurs dans un chantier « naturel » reprenant des techniques ancestrales. « On coule des joints de chaux comme à l’époque des Romains, s’extasie Cyrus, architecte en herbe. Il faut que le grain de chaux vienne entourer le grain de sable. »

La leçon, cet étudiant de l’Ouest parisien l’a apprise de Patrice. Le Normand, passionné de vieilles pierres, joue le rôle de contremaître sur le chantier. Et loue les vertus de l’expérience : « On doit faire comprendre aux jeunes ce qu’est l’isolement, réveiller leur sens de la débrouillardise, leur apprendre à vivre en circuit fermé. La solidarité, aussi. » Ensemble, ils construisent un mur pour renforcer la digue qui protège l’île des vagues et de l’éro- sion. « On ne verra pas le bout du travail avant quinze ans ! » sourit Patrice. Il reste encore au promoteur de ce vaste chantier à trouver les financements nécessaires. 



Richesse historique


Mais il est convaincu de la puissance de son atout : l’Histoire. En 1796, ce sont les Anglais qui occupent cette île alors déserte pour asphyxier l’économie de l’arrière-pays, du Havre à Cherbourg, en empêchant tout commerce naval. En 1800, l’Américain Fulton tente de venir à l’aide des Français en mettant à l’eau à cet endroit le premier sous- marin de guerre, nommé le Nautilus, sans succès. En 1802, Napoléon achète l’île et construit le fort qui sera abandonné en 1900. L’île sera à nouveau occupée par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Et le 6 juin 1944, avant le débarquement sur Utah Beach, un commando anglais aborde l’île. Un groupe de soldats débarque et saute sur les mines laissées par les Allemands. L’explosion fait vingt morts, détruisant au passage deux énormes escaliers de pierre permettant d’accéder en haut du fort.

C’est cette richesse historique et son patrimoine militaire qu’Hugues Dupuy tente de convertir en monnaie sonnante et trébuchante pour financer son projet. Il veut convaincre les hôtels de la côte, fréquentés par les touristes visitant les plages du Débarquement, de verser un euro pour chaque chambre louée à des Américains. « Ça vaut le coup d’essayer ! », s’amuse-t-il. 


Elsa Sabado
Publié le 24 août dans La Croix
Un immeuble de l’architecte Paul Chemetov sur le point d’être démoli
22 août 2012

Le projet de destruction d’un bâtiment HLM de 80 logements conçu par Paul Chemetov à Courcouronnes suscite toujours la controverse. Une pétition pour sauver l’immeuble a été signée par de grands noms de l’architecture, posant la question de ce qui doit être ou non conservé en matière de patrimoine. 

Voilà plus d’un an que la querelle a éclaté. Elle oppose l’architecte Paul Chemetov au maire de Courcouronnes (Essonne), Stéphane Beaudet. En cause, un bâtiment HLM de 80 logements, conçu il y a trente ans par le célèbre architecte du ministère des finances dans le quartier parisien de Bercy et que l’édile s’apprête à faire démolir. 

L’Agence nationale de rénovation urbaine souhaite en effet que cet immeuble de trois étages, en forme de L, abritant 80 logements sociaux, soit détruit, pour « agir en faveur du désenclavement du site » et « ouvrir la perspective visuelle ». Le projet est de le remplacer par un éco-quartier de 800 logements en accession à la propriété. « Il convenait de recréer et de renforcer l’unité du quartier », explique Stéphane Beaudet, rappelant que ce quartier, classé en zone urbaine sensible « est le quatrième quartier le plus pauvre de l’Essonne ». 


Supprimer la mémoire


Alors que l’immeuble doit être détruit d’ici à 2013, une pétition de soutien à Paul Chemetov, qui s’oppose au projet, a été lancée au mois de juillet par des architectes de renom, parmi lesquels Jean Nouvel et Thierry Van de Wyngaert, président de l’Académie d’architecture. Ils plaident pour le sauvetage d’un immeuble « d’une grande richesse plastique ». Et reprochent au maire de Courcouronnes de vouloir « régler les problèmes sociaux par des gestes urbains » et d’œuvrer à la « suppression de la mémoire du lieu ». « Faut-il démolir le patrimoine du XXe siècle ? », s’interrogent-ils. 

« Les architectes sont dans l’angoisse qu’on détruise leur œuvre, analyse Pierre Pinon, historien de l’architecture et professeur à l’école d’architecture de Belleville. Ils ne signent des pétitions que pour sauver le patrimoine moderne, et beaucoup plus rarement l’ancien. » Le maire de Courcouronnes les accuse d’ailleurs de « corporatisme ». 


Le beau et l'utile


En fait, derrière la controverse locale se cache une querelle opposant depuis longtemps l’architecture à l’urbanisme, et le beau à l’utile. Et définir ce qui mérite d’être gardé, ou détruit, dépend de quel point de vue on se place. Une loi datant de 1913 protège les immeubles qui présentent, « du point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public ». Un concept juridique qui laisse place à la subjectivité. « Le seul critère objectif, c’est la date de construction, assure Pierre Pinon. Au XVIIe siècle, on ne protégeait que les bâtiments antiques, au XVIIIe siècle les bâtiments médiévaux, au XXe siècle, ceux du XVIIIe. » Quant aux bâtiments construits après la Seconde Guerre mondiale, seuls une dizaine d’entre eux figurent sur la liste des bâtiments protégés. 

Dans les faits, il n’est pas si simple de faire disparaître les traces de l’histoire : « Depuis vingt ans, la préoccupation patrimoniale s’est beaucoup développée, affirme Pierre Pinon. Il est désormais impossible de détruire un quelconque bâtiment sans déclencher la mobilisation des associations. Cette évolution découle directement du traumatisme causé par la destruction des Halles de Baltard au centre de Paris. »

Elsa Sabado
Publié dans La Croix le 21 août 2012
« Les Roms ne se perçoivent pas comme une minorité transnationale »
14 août 2012



Martin Olivera est anthropologue et membre de l’Observatoire européen Urba-Rom 




Les Roms sont-ils une communauté à part ?
Martin Olivera : Deux discours opposés font cette supposition. D’un côté, les États leur réservent un traitement particulier, considérant qu’il s’agit d’une minorité socialement problématique. De l’autre, les associations qui les défendent en font un peuple martyr, apatride et pauvre fuyant les persécutions de l’Est vers l’Ouest depuis la nuit des temps. Cette image est liée à la figure du Tsigane, ancien mot pour dire Rom, en tant que marginal. Elle est née au XIXe siècle et implique que ces groupes germaniques, andalous ou balkaniques forment une seule et même entité. Ce mythe est apparu au moment de la création des États-nations. Certains groupes ne rentraient pas dans les cases car ils main- tenaient des solidarités locales, appartenaient à des réseaux familiaux étendus, maintenaient une activité artisanale ou commerciale qui ne correspond pas au développement du prolétariat d’alors.

Alors, qu’est ce qu’un Rom ?
M. O. : Aux yeux des intéressés, le groupe « Rom » en tant que minorité transnationale européenne n’a pas de sens. Il y a plus de points communs entre un Roumain et un Rom roumain qu’entre un Rom roumain et un Gitan andalou. Chaque groupe est le produit d’un contexte local. Le seul point qu’ils ont en commun, c’est la catégorisation qui en est faite par les sociétés européennes. Les Roms dont on parle en ce moment dans la presse sont roumains, et ont émigré dans les années 1990 et 2000, quand toutes les couches populaires de Roumanie ont été appauvries par l’avènement d’une économie de marché débridée. Comme les précédentes vagues migratoires, ils sont venus à l’Ouest pour gagner de l’argent, dans la perspective de revenir « au pays », qu’ils considèrent comme leur pays d’origine.

À quoi sont dues les discriminations dont ils font l’objet ?
M. O. : Le stéréotype se reproduit tout seul : si on pense qu’un Rom, c’est quelqu’un qui mendie et qui vit dans un bidonville, on ne voit que ceux qui vivent dans ces conditions, et pas les autres situations qui sont invisibles. Le préjugé n’est jamais remis en cause. D’autre part, en France, les Roms sont exclus du marché du travail. Issus de milieux ruraux, ils utilisent des savoir-faire pour réaliser des besognes en marge de la légalité : récupération de métaux, vente de fleurs, mendicité, etc. En Roumanie, certains étaient ouvriers dans les usines d’État et étaient sédentaires. Ce sont leurs conditions d’existence qui les mènent à ce mode de vie et non une quelconque caractéristique ethnique. 
Les organisateurs de colonies de vacances confrontés au Ramadan
02 août 2012


Quatre animateurs d’une colonie de vacances ont été suspendus par la mairie de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) parce qu’ils faisaient le Ramadan. Les organisateurs de vacances, qui doivent à la fois assurer la sécurité et respecter les droits et libertés de leurs salariés, ont parfois du mal à concilier les deux. 



Hier, le site d’actualité Bondy Blog révélait que quatre animateurs d’un séjour sportif à Port-d’Albret, dans les Landes, avaient été suspendus de leurs fonctions par la mairie de Gennevilliers, organisatrice du séjour, vendredi dernier. Leur faute : avoir observé le jeûne du Ramadan, alors que leur contrat de travail stipulait qu’ils devaient « veiller à ce que les enfants et eux-mêmes se restaurent et s’hydratent convenablement, en particulier durant les repas ». « On a reçu la visite du responsable des centres de vacances. Il est venu voir si tout se déroulait correctement avec les enfants, et c’était le cas, puis il est venu déjeuner avec nous. Il s’est mis à ma table et a remarqué qu’à l’heure du déjeuner, je ne mangeais pas et Moussa non plus », a expliqué au Bondy Blog l’un des animateurs, prénommé Nassim. À la suite de cette visite, la mairie de Gennevilliers a estimé que les animateurs « n’avaient pas respecté, en cours de séjour, les obligations de leur contrat de travail, pouvant ainsi mettre en cause la sécurité physique des enfants dont ils avaient la responsabilité ». Et les a suspendus. 

« Il y a trois ans, une jeune animatrice qui avait refusé de s’alimenter avait fait un malaise, a justifié la directrice du cabinet du maire, Nicole Varet. Elle a eu un accident avec des blessés graves, notamment un enfant. » « Inadmissible », estiment les animateurs visés par la procédure. Il n’est pas prouvé qu’en sautant un repas, on n’est pas en pleine possession de ses moyens », a déclaré Samir, l’un d’entre eux. L’affaire de Genevilliers a d’ores et déjà déclenché de vifs débats. « Nous réfléchissons à aller devant les prud’hommes pour avoir des réponses claires à nos questions : Est-ce qu’une personne a le droit de ne pas manger le midi ? Est-ce que les médecins qui pratiquent le Ramadan mettent en danger la vie de leurs patients ? » 

Une atteinte aux droits des salariés

Les organisateurs de vacances doivent en fait composer avec des exigences contradictoires. Le code de l’action sociale et des familles, qui réglemente les accueils collectifs de mineurs, affirme que l’organisateur doit « assurer la sécurité morale et physique » des mineurs accueillis. Le fait d’observer le Ramadan y fait-il obstacle ? « Il n’y a pas de disposition légale sur le jeûne. Un employeur ne peut pas porter atteinte aux droits et libertés individuelles du salarié, sauf si cette atteinte est justifiée et proportionnée au but recherché. En l’occurrence, la sanction ne me paraît pas répondre au critère de proportionnalité », analyse Ridha Ben Hamza, professeur de droit social à la Sorbonne. « Nous sommes dans une situation difficile car la loi est ambiguë et, de fait, beaucoup d’animateurs observent le Ramadan, explique Jean- Karl Deschamps, secrétaire national de la Ligue de l’enseignement, l’un des principaux organisateurs de vacances. "Nous tentons de gérer raisonnablement ce type de contraintes : nous évitons que les animateurs qui jeûnent pratiquent une activité sportive intense. On règle la question au cas par cas, avec un principe : les choix privés des moniteurs ne doivent pas s’imposer aux mineurs. Si les animateurs de Gennevilliers passent devant les prud’hommes, alors nous saurons à quoi nous en tenir. »

D’ores et déjà, l’affaire a déclenché de vives réactions. Le Conseil français du culte musulman envisage une plainte pour discrimination contre la décision de la mairie de Gennevilliers. Son repré- sentant, Abdallah Zekri, président de l’Observatoire de l’islamophobie, l’a qualifiée d’« arbitraire et discriminatoire » : « La liberté religieuse est une liberté fondamentale et on ne peut en aucun cas interdire à une personne de pratiquer sa religion. »

Elsa Sabado
Publié le 1er août 2012 dans La Croix
Pink ministre
25 juil. 2012


Dominique Bertinotti, historienne et ancienne maire du 4e arrondissement de Paris, veut être la ministre « de toutes les familles ».



Entourée de conseillers et d’élus vêtus de costumes sombres, Do- minique Bertinotti, la nouvelle ministre de la famille, détonne. À 58 ans, son teint est relevé par une tenue noire et une écharpe d’un rose éclatant dont elle se départit rarement. Au programme ce jour-là : le siège de l’Union départementale des associations fami- liales de Seine-Saint-Denis, et deux structures associatives à Pierrefitte. 

À chaque fois, la même scène se répète : elle écoute, interroge, aide les citoyens à formuler leurs difficultés, puis conclut. Dominique Bertinotti retrouve là ses vieux réflexes d’enseignante. Un métier qu’elle a exercé en collège comme professeur d’histoire-géographie dans ce département de la région parisienne, à Dugny, puis à l’université d’Amiens et de Paris VII. Elle en garde les réflexes de pédagogue mais également un petit côté donneur de leçon. «Où sont les pères?», demande-t-elle, agacée, aux mères de famille venues à sa rencontre. Quand deux col- légiennes lui parlent de leur projet vidéo, elle leur répond famille et inégalités homme-femme, pour clore : « Ce n’est pas moi qui vais te dire que les filles doivent prendre toute leur place », tout en le disant quand même. 

C’est que Dominique Bertinotti est très préoccupée par la place des femmes dans la société. Question d’expérience personnelle : en 1993, elle se présente aux élections municipales dans le 4e arrondissement de Paris. « Pour prendre une veste, une femme fera l’affaire ! », entend- elle de la bouche d’un camarade socialiste. « J’ai trouvé, dans le milieu politique, un machisme que je n’avais jamais rencontré ni dans mon éducation ni dans mon métier », se souvient la ministre avec indignation. Elle n’est pas pour autant une féministe radicale : « Si je suis totalement engagée contre les inégalités salariales, je n’ai pas de tabou. Je ne suis pas du genre “non au mariage”, ou “famille, je vous hais”». 

Elle-même mère d’un fils âgé aujourd’hui de 30 ans, Dominique Bertinotti a l’ambition de dépasser la contradiction historique entre socialisme et famille. « Je dis aux adversaires du mariage homosexuel : vous m’attaquez, alors que c’est moi qui vais promouvoir la valeur famille, s’exclame-t-elle. Aujourd’hui, les citoyens ont besoin d’un cercle de proximité, la famille. Il en existe une pluralité de modèles. L’État n’a pas à les juger, ce sont les fa- milles qui décident, par contre, c’est notre responsabilité d’assurer l’égalité des situations. »

C’est elle qui a été choisie pour mener à bien l’engagement 31 de François Hollande, qu’elle préfère appeler le « mariage pour tous ». Si cette férue de politique locale a hérité du portefeuille de la famille, c’est parce qu’elle est une proche de Ségolène Royal et parce qu’elle fut maire du Marais, un quartier parisien où vivent nombre d’homosexuels. Pourtant, elle se défend de tout clien- télisme : « La République s’adresse à tous les citoyens, quels que soient leurs choix de religion ou de vie... » Une réforme qui, elle le sait, ne fait pas l’unanimité. Invitée au congrès de l’Union nationale des associations familiales, la ministre a eu droit aux sifflets. « Mais j’ai tenu. Si le débat est vif, il fera progresser la société dans son ensemble. » 

C’est par François Mitterrand que Dominique Bertinotti est venue à la politique. Avant d’entrer au PS, elle a fait son doctorat sur sa vision de la France. Il l’a ensuite chargée de suivre pour lui les archives présidentielles. Son ralliement à Ségolène Royal date de 2006. L’historienne lui ressemble par le style comme par la manière de s’exprimer. Et c’est en utilisant la démocratie participative qu’elle veut remplir sa mission. Sur la question de la petite enfance, elle attend la concertation avant de se lancer dans les réformes : « L’État “stratège” dont parle François Hollande ne doit pas se substituer aux associations, affirme-t-elle lors de chaque rencontre. Son rôle consiste à mieux coordonner les initiatives locales qui existent déjà, et à simplifier la vie aux citoyens qui se perdent dans le dédale administratif, afin de garantir l’égalité territoriale. » 

Elsa Sabado 
Publié le 24 juillet 2012 dans La Croix
« Bajo Plage », un voyage au cœur de la Seine-Saint-Denis
19 juil. 2012



Bobigny, Aulnay, Nanterre... Dans le sillage de l’opération Paris Plages, qui démarre ce vendredi, plusieurs communes françaises ont adopté des dispositifs semblables. Ils accueillent
de plus en plus de familles qui ne partent pas en vacances.  Reportage à « Bajo Plage », qui accueille depuis cinq ans les habitants de Bagnolet (Seine-Saint-Denis).
« Piscine, trampoline, foot, baby- foot... il y a plein de choses ici, même des boissons, des pop-corn et des glaces ! Il manque seulement des trucs géants pour faire des galipettes », s’exclame Jacky-Lorenz-Junior du haut de ses 10 ans. Venu avec son centre aéré, il raffole de « Bajo Plage ». « Bajo », pour Bagnolet, une des nombreuses villes de Seine-Saint-Denis, qui, imitant Paris, s’est dotée de sa plage d’été.

À la sortie du métro Gallieni, il faut gravir une centaine de marches, dépasser la vue imprenable sur l’échangeur autoroutier pour trouver cette île aux enfants. Au beau milieu du parc Jean Moulin, classé « Natura 2000 » pour sa faune et sa flore protégées, « Bajo Plage » accueille trois piscines, un terrain de beach soccer, un mur d’escalade gonflable et des trampolines. Ce sont potentiellement 1 500 personnes qui peuvent chaque jour bénéficier gratuitement du décor de farniente : des parasols en fausse paille tressée, des cabines à rayures bleues et blanches, des perroquets en plastique et des amplis qui crachouillent les tubes de radio Latina. Sans oublier la buvette en forme de paillote et les transats : s’ils sont orientés correctement, ils permettent d’échapper à la vue des immenses tours de La Noue ou des Malassis, les cités qui encerclent « Bajo Plage ».

Un ramadan à Bagnolet

Car Bagnolet, c’est aussi 45 % de logements sociaux, une moitié de foyers non imposables et 17,5 % de chômage. « Bajo Plage sert évidemment à donner une ambiance de vacances aux gens qui, en temps de crise, ne peuvent pas y accéder », affirme Christine Lacour, adjointe au maire, chargée des relations publiques. Si les premiers adeptes de ce terrain de jeux sont les enfants, suivent, tout de suite après, les mamans, principales occupantes des transats. Parmi elles, Yamina, 37 ans et quatre enfants : « D’habitude, je pars au Maroc ou en Espagne, cela revient beaucoup moins cher qu’en France ! Mais cette année, le Ramadan tombe en juillet-août, alors je reste à Bagnolet. Ici, je retrouve les mères de famille du quartier pour passer le temps. »


« Nous, on reste ici tout le temps, s’exclament en chœur Baya et Yasmina, deux autres mères de famille qui habitent les cités en contrebas. Et on se détend ! Même si, jusqu’à aujourd’hui, on utilisait les parasols comme parapluies». En effet, le bleu du ciel tire sur le gris. Aux dires de Lilia et Mina, deux habituées, cela vaut mieux. « Quand il fait beau, ici, c’est bondé ! Avant, Bajo Plage était installé au stade de la Briqueterie. Même si le cadre était moins beau, il y avait plus d’espace. » Mais la ville la plus endettée de la Seine-Saint-Denis a pris la décision de vendre ce grand complexe. Du coup, la plage est maintenant au pied des immeubles. 

Elsa Sabado
Publié le 18 juillet 2012 dans La Croix

Businessman de l'art et des banlieues
25 mai 2012

Après avoir accompagné SOS Racisme à ses débuts, Serge Malik revient aujourd’hui à la cause de l’immigration, au sein d’une société visant à aider les jeunes de Seine-Saint-Denis à entreprendre. 





«Yump », pour « Young Urban Movement Project » – mais aussi une façon d’exprimer fortement son approbation en anglais. Dans un café du 9e arrondissement, Serge Malik, bientôt 60 ans, phrasé méditerranéen et blouson de cuir, s’escrime à bien décliner le nom de son nouveau projet : une école privée inspirée d’un modèle suédois. L’idée est d’offrir à des jeunes de Seine Saint-Denis une année de formation afin qu’ils puissent lancer leur entreprise. « Nous avons fait une étude de marché. Il y a beaucoup de bonnes initiatives, des aides, du microcrédit, de la formation, mais tout cela n’est jamais réuni. Nous voulons constituer ce chaînon manquant ». Plutôt que des entreprises de « survie », Serge Malik et ses associés, le rappeur Axiom et le diplomate suédois Tomas Fellbom, affirment vouloir pousser les jeunes à créer des entreprises moyennes à forte valeur ajoutée, innovantes et créatrices d’emploi. « Nous voudrions déclencher en France le “pourquoi pas moi ?” chez des jeunes de banlieue. Ils débordent de projets sans avoir assez d’assurance et de moyens pour les réaliser », affirme ce conseiller en communication, qui a créé il y a plusieurs années sa propre agence. Pour l’heure, il lui faut encore boucler le budget. Sur les 800 000 € nécessaires, il lui en manque 300 000. « Les entrepreneurs nous disent : on a déjà nos pauvres, ironise-t-il. Ils ne croient pas aux capacités des banlieues. Pourtant, ils ont tous signé la charte de la diversité ».

Rapprocher les mondes


Serge Malik, juif par sa mère et musulman par son père, est né à Lyon en 1954 de parents algériens. Il décrit son enfance, contemporaine de la guerre d’Algérie, comme un cauchemar : « J’ai été martyrisé par mes professeurs. » Déchiré entre Israël et la Palestine, la kippa et le keffieh, le jeune homme se cherche une identité. Il résout ce dilemme en s’engageant à corps perdu dans SOS Racisme. Quelques mois plus tard, il rompt avec l’association de manière fracassante, jugeant le mouvement manipulé par les conseillers de François Mitterrand à l’Élysée, une dénonciation qu’il explicitera cinq ans plus tard dans un livre à charge, Histoire secrète de SOS Racisme (1). Journaliste, il ouvre une maison d’édition, Binôme. Collectionneur, il se consacre à l’art contemporain et organise des événements artistiques en lien avec les ouvrages qu’il publie, comme l’exposition « Pique-nique » au centre Pompidou (2001). Son idée : rapprocher le monde de la culture et celui de l’entreprise : « Les artistes repoussent les marges, franchissent les conventions, révolutionnent les valeurs. Beaucoup d’entreprises pensent que c’est contraire à leurs intérêts, à la création de valeur ajoutée ». Serge Malik mentionne un exemple à l’étranger : celui de Lhoist, leader de la production de chaux, qui a ouvert à ses employés sa collection d’œuvres. « La plupart des dirigeants des sociétés n’ont que deux mots à la bouche : innovation et formation. Or ils embauchent des gens qui sortent du moule des grandes écoles. J’aimerais ajouter à l’entreprise la pincée de sel qu’est l’artiste ». Il organise aussi des visites de musées ou de collections pour des chefs d’entreprise.

Debbouze et Anelka, des héros


À la recherche de talents des cités, il a un temps entretenu l’espoir de monter un conservatoire des cultures urbaines, reconnaissant aux arts de la rue leur valeur. Avec YUMP, Serge Malik compte lutter contre les « discriminations » par l’exemplarité. « Dans les cités, Jamel Debbouze, Anelka sont considérés comme des héros, affirme-t-il. Mais ces jeunes ne devraient-ils forcément réussir que par le football ou l’humour ? Il faut les mêmes exemples dans l’économie. C’est cela qui permettra de changer le regard sur les immigrés. » 

Elsa Sabado
Publié le 25 mai 2012 dans La Croix

"On se fait engueuler toute la journée"
23 déc. 2011



Mal payés, déconsidérés et constamment surveillés, les sous-traitants font de cette lutte une question de dignité.


«Pour Noël, on est prêts… C’est la galette des rois qui passera à l’as. La machine est lancée, on ne peut pas s’arrêter. C’est 200 euros ou rien», affirme Angélique, déterminée. Pour la reconnaissance de leur profession ; pour la dignité. En grève depuis sept jours, le cahier de doléances des agents de sûreté de Roissy, toutes entreprises confondues, ne cesse de s’emplir. En cause, leur salaire : 1 300 euros nets en moyenne pour un temps plein et, surtout, le manque de considération qu’il symbolise. Premier grief, l’humiliation permanente par les différents «contrôleurs» : superviseurs, Aéroports de Paris (ADP), Direction générale de l’aviation civile, police… Eric, délégué de SUD aérien s’insurge : «Nos employeurs ont une soumission canine vis-à-vis d’ADP. Ils acceptent tout et n’importe quoi pour garder le marché de la sécurité aéroportuaire, quelles que soient les conséquences sur notre travail.»

Suivent les problèmes d’horaires décalés pour les parents et les attestations maladies jamais envoyées par l’employeur à la Sécu pour dissuader les arrêts de travail. Une grande partie des agents de sûreté vient de l’Oise, de l’Aisne, à une heure de route. En arrivant à l’aéroport, ils se garent sur un parking gratuit mais éloigné (car toute place payante occupée par un sous-traitant est un manque à gagner pour ADP), puis doivent attendre la navette. «Si on retranche le coût du transport, certains d’entre nous ne sont même pas smicards», explique Flora. Atria, l’organisme immobilier qui attribue le 1% patronal de l’entreprise, lui a notifié qu’elle ne gagnait pas assez pour bénéficier d’un logement. Depuis trois ans, elle fait 136 heures par mois, et ses supérieurs refusent de lui accorder un contrat plus conséquent.

«Ils ont raison, ils sont traités comme des chiens !» constatent les femmes de ménage. Avec les pousseurs de chariot, elles sont mieux payées que les agents de sûreté. Elles applaudissent leur ronde entre les terminaux E et F. «On se fait engueuler toute la journée par les passagers à cause de procédures imposées par ADP, raconte Daniel.Tous les matins, les superviseurs tirent un poste au hasard et regardent "sa" caméra de surveillance pendant vingt minutes. Si on ne respecte pas les procédures, nos chefs nous convoquent et rédigent des rapports, les "actions correctives", qui se transforment ensuite en avertissements. Normalement, ces caméras servent à gérer le flux, mais nos chefs se fichent des recommandations de la Cnil», la commission informatique et liberté.

Pour remplacer les grévistes, les entreprises ont appelé des CDD, la police de l’air et des frontières et mis au travail les administratifs d’ADP. Ce sont contre ces derniers que les salariés sont le plus remontés. A travers la vitre, un petit groupe de syndicalistes invective les vestes orange : «Pas de sac dans les panières !» Puis un slogan monte :«Sbam, Sbam, Sbam !» C’est le fameux «Sourire-bonjour-au revoir-merci» auquel les agents sont soumis au quotidien. Concernant les CDD qui les remplacent, c’est à son employeur que Sirima s’en prend : «On nous casse les oreilles avec la sécurité, et là, on met des gens formés en un jour, qui ont obtenu leur assermentation en 24 heures alors qu’on l’attend pendant six mois. Deux agents qui avaient été mis à pied à cause de violences sur un troisième ont été rappelés.» Les agents travaillent au quotidien avec la police, et sont beaucoup plus tolérants à leur égard. «C’est historique ! Ils ont appelé la PAF pour nous remplacer ! Mais ils n’ont pas envie d’être là, ils sont réquisitionnés.»Assermentés par le préfet et le procureur, les agents ont peu d’animosité vis-à-vis des policiers : «On est nous-même des keufs sans statut», sourit Emilie.

Elsa Sabado,
Publié le 22 décembre 2011 dans Libération
Paroles d'agents de sécurité
22 déc. 2011
Linda, 28 ans, employée chez Securitas, CGT :
«Nous sommes contrôlés par le préfet, notre employeur et Aéroports de Paris. Leurs contrôleurs comptent le nombre de bagages que nous vérifions à l’heure. Nous devons en ouvrir 20% de manière aléatoire, qu’ils soient estimés dangereux ou non. Notre travail est sans cesse remis en question, nos superviseurs chipotent sur le moindre écart.
«Par contre, pendant la grève, des CDD qui ont eu un seul jour de formation nous remplacent. Si Al-Qaeda a l’idée d’agir aujourd’hui, ils font tout péter. Entre janvier et octobre, Securitas a licencié 111 personnes pour faute grave. Ce sont des licenciements économiques déguisés car les postes d’inspection et de filtrage vont être mutualisés. Avant, il y avait quatre palpeurs, deux femmes et deux hommes. Désormais, il n’y aura plus qu’une femme et un homme, Securitas doit se débarrasser de ce personnel excédent. Pourtant, les flux de passagers continuent à augmenter de 3% par an. Les terminaux E et F de Roissy-Charles-de-Gaulle accueillent 26 millions de passagers à l’année, c’est le plus gros marché de France.»


Rachid Bousguers, 38 ans, employé chez Brinks, CFTC
«Les aéroports font des appels d’offres et choisissent l’entreprise de sécurité la moins chère. Résultat : ce sont nos salaires et notre temps de travail qui trinquent. On parle commercial plus que sûreté. Et du côté des salariés, on est fatigués de supporter la pression. Nous devons, sur 2 000 passagers journaliers, effectuer 15% de palpations : la machine sonne même lorsqu’il n’y a rien de dangereux, juste pour que nous restions actifs. Régulièrement, on fait des tests pour évaluer notre vigilance.
«Si on les rate, on doit retourner en formation initiale. Des contrôleurs de la Direction générale de l’aviation civile tentent parfois de faire passer des armes factices. Si cela nous échappe, l’entreprise doit payer une amende, ce qui augmente la pression sur nous. Depuis que Christian Lambert est préfet du 93, 10 salariés sont suspendus, parce qu’ils figurent sur le Stic, un fichier policier où figurent les gens impliqués dans les plaintes. On sait pourtant qu’il est obsolète. Bref, notre métier n’est pas reconnu à sa juste valeur.»

Inès, 24 ans, employée chez ICTS depuis mai: 

«Ce qui me gêne, c’est qu’ils se servent de la vie des gens : ils savent que beaucoup de grévistes sont seuls avec enfants. La direction leur demande : "Comment allez-vous tenir ?" Aéroports de Paris utilise les caméras pour nous surveiller plutôt que pour garantir la sûreté. Ils disent que les agents de sûreté doivent toujours sourire, car ils sont le dernier souvenir des gens qui quittent la France. Mais le "Sbam", le «Sourire-bonjour-au revoir-merci», est difficile lorsqu’on fait la tranche de 23 heures à 6 heures du matin.
«Au bout de trois mois, les salariés sont épuisés et se mettent en arrêt maladie. Des arrêts que l’employeur n’envoie jamais directement à la Sécurité sociale pour dissuader les salariés d’en prendre. Autre économie, les nouveaux contrats sont des quatre-cinquièmes. Les jeunes viennent tous les jours pour cinq heures, cela permet d’économiser la prime panier, obligatoire à partir de six heures. Ce qui a fait déborder le vase, c’est la prime de 900 euros versée aux cadres d’ICTS, alors que les salariés ont eu droit à une collation et à du jus d’oranges.»

Jean-Marc Mondesir, 38 ans, employé chez Securitas, FO

«Ils se fichent de nous. A la place des cinq personnes habituelles, nous ne sommes que trois pour faire l’inspection et le filtrage, ce qui ne correspond pas du tout aux normes de sécurité. Nous n’avons pas eu une seule pause les journées précédentes. Cela fait quatre heures que je suis sur l’écran, alors que les yeux ne sont censés tenir que vingt minutes. Même s’ils nous font miroiter un CDI, en prétextant l’agrandissement de certains terminaux, je sais qu’il n’y aura rien au bout.
«Ceci dit, j’ai bien ri en voyant les cravates rouges [chefs d’équipe, ndlr]et les cravates grises [superviseurs] sur le poste, car ils ne géraient rien du tout ! Pour remplacer les CDI, ils ont fait venir des Belges et des Hollandais, tous les moyens sont bons ! Je suis heureuse que cette grève ait lieu, car on y voit une vraie solidarité d’équipe.«J’ai créé le groupe Facebook ICTS Crew, où je raconte que les terminaux sont saturés, nos conditions de travail, etc. Ils se sont rendu compte que j’en étais l’auteur. 296 personnes y sont maintenant inscrites.»