Nous assistons depuis quelques années à des attaques virulentes contre Freud et la psychanalyse. La défense en passe souvent par des contre-attaques. Ces polémiques acerbes ont de quoi désarçonner et l’étonnement est d’autant plus fort que la population qui entreprend une psychanalyse reste très marginale.
Je n’adhère pas à ces affrontements dans ce livre car je pense que ce type de conduite relève de l’obscurantisme et de l’idéologie [somme de préjugés), soit d’un refus de penser la réalité humaine au profit de l’irrationnel, des affects et des pulsions, à la faveur de l’archaïsme et de la régression des mécanismes
civilisateurs.
Par ailleurs, personne n’est obligé d’adhérer aux thèses freudiennes même si les faits sont têtus qui montrent la réalité de l’action de mécanismes psychiques qui nous échappent, donc inconscients. Dans ce sens, je pense que le déni d’inconscient relève d’une croyance face à l’évidence de l’homme (collectivement, il prouve quotidiennement et historiquement qu’il est mené par des forces qui le dépassent : guerres depuis l’apparition de l’homme sur Terre, pollution destructrice de la planète alors que rationnellement nous savons tous que le jeu de l’hyper-consommation est dangereux, etc ; individuellement,
le mal de vivre dépasse toujours le sujet). Cette perception des forces qui nous dépassent n’est absolument pas l’apanage de la psychanalyse : par exemple la littérature ne parle pas d’autre chose quand elle décrit les passions humaines. Freud n’a fait qu’initier une discipline qui tente avec peine de rendre intelligible ce qu’il y a de plus inintelligible chez l’humain, soit ce qui le pilote à son insu.
Freud n’est pas le découvreur de l’inconscient (j’en décrit quelques-uns dans mon ouvrage). Sa grande intuition est la mise en évidence du transfert et la force qui s’en dégage pour conduire le sujet en analyse vers son désir en abandonnant son système défensif. La différence entre Freud et d’autres
découvreurs de l’inconscient (plus spécifiquement Nietzsche) est l’option thérapeutique du viennois précisément via le transfert.
La psychanalyse, dans sa spécificité, est un ensemble cohérent défini par :
1/Une éthique (la loi du désir, la sublimation du sujet, l’épanouissement de l’individu).
2/ Une théorie articulée au primat de l’inconscient.
3/ Une pratique s’appuyant sur le transfert, un engagement très singulier du praticien qui est profondément impliqué dans la relation.
En nommant mon livre Freud et son héritage, j’ai voulu circonscrire au mieux le sujet que j’aborde, à savoir quelle était la conception que Freud se faisait de son invention. Mon ouvrage renvoie au socle historique sur lequel la psychanalyse repose, plus particulièrement profane/laïque (non médicale), seule possibilité pour l’avenir de la psychanalyse selon Freud. Dans ce sens, je recense de nombreuses occurrences où Freud défend avec vigueur la légitimité de la psychanalyse en toute indépendance par rapport à toute autre discipline (plus spécifiquement, la médecine, la philosophie, la psychologie, l’éducation).
Non seulement ce débat est d’actualité pour les raisons législatives1 mais également au sein du mouvement psychanalytique : par exemple les 5 et 6 juin 2010 à Copenhague, un séminaire sur « La psychanalyse laïque » fut organisé par la Psychoanalytisk Kreds (société danoise) sous l’égide de la Société
de Psychanalyse Freudienne.
J’évite tout prosélytisme en ne défendant pas l’objet « psychanalyse » en tant que tel mais simplement en exposant exhaustivement les fondamentaux freudiens. Cet ouvrage est donc une introduction à la psychanalyse (freudienne) très élaborée.
J’introduis historiquement la psychanalyse (philosophie, médecine, psychologie, l ’histoire contemporaine de la psychanalyse plus spécifiquement en France) en évitant une hagiographie de la saga freudienne, voire en évoquant de nombreux aspects peu glorieux de Freud et de la psychanalyse (par exemple le suicide de Victor Tausk, la période noire de l’Institut Goering, les conflits incessants entre
différents mouvements psychanalytiques, etc.) Cette approche permet de saisir que cette discipline a été élaborée par des êtres humains faillibles comme n’importe quels autres.
J’en viens ensuite à parler de la pratique, donc du transfert, articulée à la théorie, à savoir de la technique analytique, y compris en évoquant celle de Freud.
1 Article 91 de la loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 (loi HPST) redéfinissant l’usage du titre de psychothérapeute et modifiant l’article 52 de 2004,
modification appelée aussi article 52/91 par les professionnels. Cet article change le cadre juridique légiférant le titre de psychothérapeute et ipso
facto inquiète les praticiens psychanalystes laïques qui se questionnent sur leur liberté future d’exercice.
Enfin, je convoque la psychanalyse comme corpus de pensée pour aborder des questions dans d’autres domaines, ceci afin de souligner tout le profit d’utiliser cette discipline non seulement dans le cadre de la cure mais également comme référentiel de pensée.
Finalement, je pense qu’il faut encore et toujours reposer les bases éthiques, théoriques et techniques de la psychanalyse qui sont intangibles quel que soit le progrès des neurosciences ou des sciences cognitives.
Le gouffre entre les mécanismes fins et intimes au niveau de réalité biochimique (neurotransmetteurs) et cellulaire (neurones) dans le cadre des neurosciences et les effets de l’action conjointe de milliard de neurones (dont le résultat est le psychisme) sera-t-il un jour comblé ?
Nous sommes légitimement en droit d’en douter.
Si les neurosciences sont indispensables en proposant des modèles nécessaires des mécanismes du cerveau mais artificiellement éloignés du réel neuronal (soit l’intégration au niveau du réel de l’inimaginable interaction de milliards d’opérations biochimiques et cellulaires). La psychanalyse ne s’intéresse qu’au résultat du fonctionnement psychobiologique, le psychisme, qui représente cependant la réalité de ce que nous vivons existentiellement.
Il n’est pas surprenant que la psychanalyse soit faillible tant son objet, le psychisme humain, est foisonnant : cette discipline tente d’approcher l’homme dans sa complexité, dans son écosystème en quelque sorte (soit l’environnement culturel [environnemental] et social vu en transparence de son histoire individuelle [ontogenèse] et généalogique [phylogenèse]).2
En conclusion, Freud et son héritage, s’inscrit dans un soutien de la psychanalyse instruite en procès d’obsolescence de façon récurrente (la législation des pays européens en sont le signe étatisé) : il est ainsi
temporel3. Ce livre se veut aussi intemporel dans la mesure où, face aux résistances à cette discipline depuis sa création, l’exposé de ce qui constitue le noyau irréductible de la psychanalyse ancre une vérité incontestable : le
savoir sur l’inconscient n’est pas du domaine de l’ingénierie, du domaine du progrès technologique et ne dépend donc pas du progrès des sciences du cerveau, ni de celles de l’apprentissage. L’évolution et les progrès sont
constitutifs de la pratique s’inscrivant dans une remise en cause permanente de la part des praticiens à la lueur des multiples psychanalyses en mutation continuelle (l’analysant[e], donc le sujet au sein de la société [donc famille, l’école, l’entreprise, etc.], apporte en séances toutes les modifications sociales, parfois infénitisimales, qu’il subit au sein du tissu humain).
2 D’autres disciplines dites « psy » sont issues de la psychologie expérimentale (par exemple le comportementalisme) qui généralise des observations
simplifiées (ici le conditionnement opérant) dans le cadre de protocoles expérimentaux réducteurs (boîte de Skinner) à l’ensemble des conduites,
animales d’abord (les sujets d’expérience : ici surtout le rat) puis humaines, réduction supplémentaire par rapport au réel du psychisme.
3 Les mentalités changent très vite : la psychanalyse est désormais incluse dans les annuaires parmi les psychothérapies (qui se comptent par plusieurs
dizaines) au lieu d’une franche différenciation (la psychanalyse différente des psychothérapies comme ce fut le cas pendant un siècle).